LES CAHIERS DE L«ADEPTE » N° 1 GRAND COLLÈGE INITIATIQUE 58, avenue de Wagram 75017 PARIS ISBN :2-84042-000-7 AVERTISSEMENT DE L'EDITEUR Le "Grand Collège Initiatique" n'est pas une maison d'édition au sens habituel du terme. La finalité du Grand Collège Initiatique est de dispenser une initiation authentique à ceux qui nous en font la demande, et qui en ont été jugés dignes (vous pouvez obtenir la brochure entièrement gratuite où nous exposons en détail ce qu'est linitiation, comment y postuler, et ce que nous sommes, sur simple demande de votre part, à notre adresse figurant sur cet ouvrage) . Cependant, nous sommes encore sous le règne de la "Galaxie Gutenberg", et le papier -donc l'édition -reste toujours le moyen de communication le plus employé par tous ceux qui, séparés dans l'espace, ont par ailleurs une communauté d'intérêt spirituel. Le "Grand Collège Initiatique" édite donc : des rapports, documents divers, monographies strictement réservés à ses membres. des rééditions d'ouvrages introuvables (ou hors de prix chez les bouquinistes !) et d;uvres originales, pour peu que ces livres n'entrent pas en contradiction avec les valeurs éternelles qui sont les nôtres. Ces documents sont proposés à nos membres, mais aussi à un public choisi, la diffusion exotérique d;uvres capables de déclencher "le désir d'initiation" faisant également partie de notre mission. Nos éditions ne sont pas luxueuses, et nos tirages sont réduits et quasi artisanaux. Nous n'avons pas, comme il est explicité dans notre brochure la volonté d'être des marchands satisfaisant une clientèle de bibliophiles. Qu'importe donc le flacon. Seul compte le contenu. L'homme, qui signe anonymement l'"Adepte", est membre (à un très haut niveau maintenant) du Grand Collège Initiatique depuis 1979 (Une de nos règles nous bannissons tout culte de la personnalité -qu'importe le nom, la vanité et la gloire) . Il nous fut présenté par l'Ingénieur D., qui n'était et ne fut jamais membre du Grand Collège Initiatique, mais avec lequel nous entretenions, étant donné son niveau élevé de connaissances et de spiritualité, des rapports confraternels de travail fructueux. D. pensa qu'en 1979, l"'Adepte" devait, pour le plus grand bien de son évolution, se confronter à une autre filiation que la sienne. Nous acceptâmes d'autant plus cette candidature que nous ne pratiquons nulle exclusive à l'égard de quelque race, sexe, appartenance religieuse ou spirituelle des postulants, ni n'exigeons qu'ils renoncent à quelque foi, philosophie ou engagement spirituel quelconque (encore une fois, bien sûr, si cet engagement, cette foi ou cette philosophie ne contredisent pas les valeurs fondamentales que sont la liberté. le respect d'autrui et le droit à l'expression) . Actuellement l"'Adepte", tout en continuant à participer activement à la vie du "Grand Collège Initiatique", assume auprès de nombreux "élèves" que la mort de D. eût pu laisser orphelins le rôle que tenait ce "justifié". Le "Grand Collège Initiatique" non seulement recommande mais exige de tous ses membres qu'ils continuent à respecter les serments qui ont pu librement engager par ailleurs leur parole. Ce n'est donc qu'après la mort de D. comme narré dans la préface -que l"'Adepte" nous confia l'ensemble de ses notes et cahiers à des fins d'édition. Leur lecture nous confirma que nonobstant la filiation différente, le but poursuivi par D. et par nous même est identique. D'autre part, ces cahiers offrent l'avantage d'être datés, faciles à comprendre même pour un néophyte, (ce sont des transcriptions exactes de scènes vécues), et surtout de respecter l'exacte chronologie d'un enseigne rigoureux. Nous pensons qu'ils répondent à une demande de nos membres, et de tous ceux qui cherchent désespérément dans les livres (quand ils peuvent y accéder) un recours ou un rayon de lumière. Une anecdote. A la fin des années 70, nous avons assisté à la vente d'un grand collectionneur de livres dits "occultes" qui dispersait sa bibliothèque à l'hôtel Drouot, à Paris. Cette mise aux enchères, à l'époque, dépassa de beaucoup, au total, les cent millions de centimes ! si l'on excepte deux -et seulement deux -ouvrages d'importance que nous pûmes acquérir pour une bouchée de pain, les - 2 - "bibliophiles" en ignorant la valeur spirituelle -le contenu de tout le reste ne valait pas, d'un point de vue pratique et spirituel -celui de ces "cahiers". A la demande expresse de l"'Adepte", nous n'avons pas modifié le texte de ces cahiers d'un iota. Vous voudrez donc bien excuser le style familier, les annotations naïves (surtout dans les premiers cahiers) et même quelques fautes de syntaxe, et ne pas oublier qu'il s'agit de la retranscription exacte d'un enseignement oral de plus dans les tout premiers cahiers, le "scribe" n'est qu'un adolescent. Par contre, nous avons assumé nos responsabilités éditoriales. Aussi, en accord avec l"'Adepte", trouverez-vous de temps à autres, insérées dans le texte, quelques "notes de l'éditeur" qui constituent notre commentaire. La pagination que nous avons adoptée peut vous surprendre. Au début de chaque "journée d'enseignement" (puisque les dates figurent) nous sommes repartis de la page 1 Notre but, ce faisant, était double : chaque journée est une "monade", un "atome". Elle est un tout en soi, qui ne trouve sa justification que dans l'ensemble (son passé et son avenir) .Nous voulions montrer ainsi que chaque fois que le soleil se lève, une nouvelle journée commence pour l'initiable, où dans le même temps il jouit de tous ses acquis et les remet en question. C'est là l'un des (apparents) paradoxes fondamentaux de l'initiation. chaque cahier comporte, en fin de volume, dans une table des matières détaillée, la liste des acquis pratiques de l'"Adepte". Cette liste renvoie à la journée, puis au numéro de page de la journée. L'option que nous avons délibérément choisie permet ainsi, à l'étudiant, de se référer immédiatement dans l'ordre chronologique, aux exercices pratiques à accomplir dont la date très souvent importe. Nous espérons que cette lecture vous convaincra qu'il est possible et souhaitable d'être, dans cette vie, un "justifié" promis à l'Eternité de la Félicité. - 3 - Et que cest, finalement, la seule aventure réellement digne, de tous temps, de lêtre humain. A vous. Le Grand collège initiatique - 4 - PREFACE J'ai passé toute mon enfance et mon adolescence dans un village normand, non loin des côtes de la Manche. C'est là que j'ai connu l'ingénieur D. C'est là aussi que devenu adulte et appelé sous d'autres cieux pour des raisons professionnelles ou familiales, je suis fréquemment retourné pour m'entretenir avec lui et me perfectionner à son contact; car l'ingénieur D. ne se déplaçait qu'en de très rares occasions. Il ne quittait qu'à regret, contraint et forcé, sa maison construite selon ses plans, à l'écart du village, au flanc d'une petite colline boisée traversée par une rivière poissonneuse. Il y avait aménagé un bureau où il passait le plus clair de son temps, et retapé les ruines d'un ancien pigeonnier, situé sur son terrain, pour en faire un "occultum". L'ingénieur D. était né dans une famille de riches bourgeois allemands, qui faisaient commerce de tapis orientaux, en 1908. Très tôt attiré par les sciences psychiques, les secrets du corps et les sciences exactes, il hésita entre le sacerdoce de rabbin (car ses parents étaient juifs) , la médecine et les mathématiques. Finalement son père, qui se désespérait de ce que son fils unique s'obstinât à refuser de prendre la suite d'une longue tradition familiale consacrée au négoce, lui enjoignit de suivre des études techniques pour seconder, celles-ci achevées, un oncle sans héritier mâle, propriétaire d'une importante entreprise de construction, dont l'ingénieur D. devait, suivant les projets familiaux, prendre un jour la direction. L'ingénieur D. termina ses études en 1933, et rentra sitôt après au service de son oncle. L'année suivante, son destin devait s'accélérer singulièrement. Alors qu'il se trouvait en France (il avait appris le Français au cours de ses études, par amour de notre culture) pour agrément, sa famille fut entièrement décimée dans l'incendie de la propriété où elle s'était réunie pour célébrer la Pâque Juive. Celui qui allait devenir, de nombreuses années plus tard, mon maître, ne me révéla jamais à savoir si cette catastrophe était d'origine accidentelle ou criminelle. Le climat de l'Epoque, en Allemagne, n'était pas favorable aux descendants de David, c'est le moins que l'on puisse dire. Après avoir tant bien que mal présidé aux destinées de l'entreprise, l'Ingénieur D. dut s'expatrier. Il choisit de s'établir dans notre village, pour des raisons qui me sont toujours restées obscures. Il ne trouva pas à s'engager selon son niveau de qualification, mais tout bonnement comme ouvrier agricole. Nous étions avant la seconde guerre mondiale, et les travaux des champs étaient encore ceux qui employaient le plus de bras. "Ce furent, me dira-t-il souvent, parmi les années les plus heureuses de ma vie. L'exercice physique, et une vie réglée sur le rythme des saisons et des jours, ont contribué à me débarrasser du poison d'intellectualisme qui persistait à m'empêcher de rentrer en contact avec la Réalité." Mais venue de son pays d'origine, la menace se précisait lorsque les hordes hitlériennes déferlèrent sur notre sol, par fatalisme (ou bien était ce parce qu'il connaissait déjà l'heure exacte de sa mort ?) , l'ingénieur D. refusa de se joindre aux convois affolés qui partirent sans but sur les routes de l'exode, et choisit de rester sur place. Résistant de la première heure, il vécut dans une clandestinité totale de 1941 à 1943, jusqu'à ce qu'il soit dénoncé. Ce furent alors les camps de la mort. "Je dois d'avoir survécu aux traitements abjects qu'on nous infligeait non à ma constitution physique, ni à une quelconque forme d'intelligence, mais à l'animalité que j'avais su préserver en moi, et à ma connaissance de quelques règles immuables qui régissent toutes choses en ce monde", me rétorqua-t-il un jour que je lui affirmais péremptoirement que "hors l'intelligence, point de salut." Libéré par les troupes alliées, il revint en 1945 chez son ancien employeur, où il exerça deux ans durant les fonctions de régisseur. C'est en 1947 qu'il retrouva un poste en rapport avec ses compétences. Trois maçons, frères de surcroît, avaient fondé à - 2 - la fin du siècle dernier une petite entreprise artisanale. Les anciens du village se souvenaient même de les avoir vus partir à l'aube, traînant derrière eux une carriole contenant divers outils et matériaux. Par la grâce de leurs descendants, cette activité familiale était devenue une affaire florissante de bâtiments et travaux publics qui prit, dans le contexte économique de l'après guerre, une dimension régionale, puis nationale. Cet essor valut à l'ingénieur D. d'y rentrer au plus haut niveau de décision, et d'être notamment chargé du calcul de résistance des solides. Il occupa ce poste jusqu'à sa retraite, en 1976. Il devint par ailleurs, dès 1947, le manager/entraîneur (et mécène) de l'équipe locale de football. Il en était aussi le soigneur, car il n'avait pas son pareil pour traiter un muscle froissé, une hanche douloureuse, un genou déboîté, une entorse à la cheville, une épaule démise. Ce petit talent de rebouteux lui valut une réputation qui, très vite, dépassa le cadre des vestiaires, et les limites de notre village. Le dimanche, on faisait la queue dans sa maison nouvellement construite pour quelque "remise en forme". certains médecins ne dédaignaient même pas lui envoyer quelques patients surtout les plus démunis. Il faut dire que l'ingénieur D. ne réclamait, en échange de ses bons services, que quelques dons en nature, des semis pour son jardin, des produits de la chasse, du potager ou de la ferme. Jamais d'argent ! Mais ce ne fut pas pour guérir de mes horions que je fus amené à entrer régulièrement en contact avec lui. J'étais au lycée un piètre élève en mathématiques. Comme mes parents étaient des collègues de travail de mon futur "maître", il s'offrit de me "remettre à niveau" durant les vacances scolaires. Ce qui me surprit le plus lorsque je pénétrai la première fois dans son bureau, un jour de l'été 1965, pour y subir, bien à contre c;ur, ma première leçon particulière, ce furent non seulement les dimensions formidables du lieu et la sobriété extrême de l'ameublement -une table de ferme en guise de bureau, une chaise et deux fauteuil -mais aussi et surtout la quantité impressionnante de livres qui masquaient les quatre murs: il y en avait plusieurs milliers, écrits en diverses langues - 3 - (allemand, hébreu, anglais, français, et je vis même des caractères que je ne connaissais pas au dos de certaines couvertures) ; une étiquette sur le rebord du rayonnage indiquait ce qui semblait être un classement romans et littérature - sciences exactes -sciences humaines -sciences de la Réalité. Cette dernière catégorie ne manqua pas de me surprendre. Qu'étaient donc, lui demandai-je, ces sciences de la Réalité ? "vois-tu, me dit-il, la littérature essaye d'exprimer la vie par le biais de la fiction, de l'imagination. Les sciences humaines tentent d'expliquer l'homme par des lois historiques, sociales, voire psychologiques. Les sciences exactes prétendent décrire mathématiquement les diverses fonctionnalités de la Nature. Mais les sciences de la Réalité n'expriment, n'expliquent ni ne décrivent rien. Elles mettent en contact direct ceux qui les étudient avec la face cachée des phénomènes, qui constituent leur essence". Et sans me donner le temps de digérer cette sentence, il passa sans transition à la différence fondamentale qui existe entre un postulat et un théorème. Avec lui, j'ai repris les mathématiques "à la base". Et les résultats l'année suivante m'ont payé de mes efforts. Mais étaient ce bien des efforts ? L'ingénieur D. était un pédagogue né. Sa passion était communicative. Il "vivait" profondément tout ce qu'il entreprenait. Il éclairait les points obscurs par des anecdotes historiques ou des exemples concrets. Tout s'enchaînait suivant une parfaite logique. Il ne m'imposait rien, mais m'incitait à découvrir par moi-même telle suite logique d'un théorème nouvellement démontré, telle application pratique d'une loi mathématique. Comme Socrate, l'Ingénieur D. était un "accoucheur d'âme". Et l'Algèbre et la Géométrie, dont j'avais jusque là ignoré la finalité (si ce n'est, pensais je, de torturer les écoliers) me devinrent un plaisir. Mais j'étais obstiné. Et à l'issue de chacune de nos séances, je revenais à la charge pour savoir ce que pouvaient bien être ces fameuses "sciences de la Réalité". Tant et si bien qu'il m'autorisa à lui emprunter des livres; il y mit quelques conditions: je ne devais en emporter qu'un seul à la fois - 4 - en prendre le plus grand soin, m'ef forcer de le lire qu'au bout et de chercher par moi-même à éclairer les passages obscurs, ne pas tenter de mettre en pratique ce que j'y apprenais, et lui rendre compte de ce que j'avais retenu. Cela dura cinq mois au cours desquels je me frottai, dans le plus grand désordre, à Agrippa, Dion Fortune, Alexandra David Neel, Emmanuel Swedenborg entre autres. Je fus pris d'une véritable boulimie de lecture, quoique le sens des textes me restât le plus souvent étranger. Et jamais l'Ingénieur D. ne commentait les rapports que je lui en faisais. Enfin, un matin de mai 1966, il daigna sortir de son mutisme. "Tu sembles doué pour les sciences de la Réalité, et surtout tu as un sincère désir de les approfondir. Mais quoiqu'elles soient différentes des sciences exactes ou humaines, elles n'en réclament pas moins, comme elles, de la méthode, de l'effort et de la persévérance. Je puis, si tu le désires, te les enseigner. Il faudra cependant, que tu observes un certain nombre de règles : tu viendras me voir régulièrement pour que je t'enseigne -tu prendras chaque fois des notes tu recopieras, le soir, ces notes, en bon français, dans un "journal" que tu tiendras sur des cahiers de "Travaux pratiques" (des cahiers où alternent page d'écriture et page de dessin) . tu pourras consigner dans ce "journal" toutes les réflexions personnelles qui ont trait à cet enseignement. lorsque tu parleras de moi, tu me désigneras pas mon initiale enfin, tu ne parleras de cet enseignement, ni de l'existence de ces cahiers, à personne. Pas même à tes parents, ni à ton épouse, ni à tes enfants, lorsque tu fonderas une famille. tu t'efforceras par contre de les publier après ma mort. Cet évènement arrivera dans le courant de l'année aézé." Trop heureux de trouver un mentor qui se proposait de me guider dans ce ténébreux labyrinthe, où j'avais cependant entrevu, lors de courts instants, la vive lumière de l'Eternité, je promis tout ce qu'il voulut. Mais quel pouvait bien être, lui demandai-je, cette année "aézé" dont je n'avais jamais entendu parler ? - 5 - L'Ingénieur D. me répondit: "Il n'est pas bon que toi, pas plus que quiconque, saches quand se terminera mon passage sur cette terre. Tu ne pourrais t'empêcher, même involontairement, de te livrer à une espèce de compte à rebours, et cela modifierait d'autant plus nos relations que nous nous approcherions de la date fatidique". L'Ingénieur D. est mort en décembre 1990. E que voulait dire "aézé". Il faut d'abord se souvenir qu'il était juif, commencent leur calendrier au 7 octobre 3761 présumée de la création selon la Genèse chronologie non pas symbolique, mais prise "au pied de la lettre"). Dans le calendrier hébreu, donc, le 7 octobre 1990, commence lannée. 3761 +1990 -----5751 si on remplace chacun de ces chiffres par la lettre hébraïque qui lui correspond, on obtient 5 7 5 1 Hé ZaÏn Hé Aleph Soit, phonétiquement et lu de droite à gauche (comme c'est le cas dans l'écriture hébraïque) "Aézé". Dernier clin d;il de mon maître, par delà la tombe. Il m'avait souvent répété: "On ne comprend pleinement les prédictions que lorsqu'elles se sont réalisées". En près d'un quart de siècle, j'ai rempli d'innombrables cahiers. Et j'ai trouvé, comme il m'avait été prédit, à les publier dans l'ordre chronologique où ils ont été rédigés. Par delà l'aspect didactique et initiatique de ces cahiers, ils sont, pour moi, le témoignage de l'Amour sans borne et de l'Infinie Patience que mon maître me témoigna. Je ne sais pas encore la raison pour laquelle l'Ingénieur D. désirait cette publication. J'obéis, car j'ai appris qu'au bout de l'obéissance, se trouve la compréhension. - 6 - Même si son décès m'a propulsé "à sa place" par rapport à ses autres élèves, conformément à sa volonté, je ne suis et ne reste, par égard pour sa mémoire, que l'Adepte. Le 10 mai 1991. - 7 - Samedi 4 juin 1966 Cet après midi, je me suis rendu pour la première "leçon de magie" (je ne sais pas trop comment appeler cet enseignement) chez D. En entrant dans son bureau, j'ai vu qu'il y avait, sur sa table, une bouteille contenant un liquide que je n'ai pas su identifier, un couteau, un flacon en verre, vide, fermé par un gros bouchon de liège, et une demi douzaine de fruits de la taille d'une pomme environ, dont le nom m'était inconnu. D. m'a fait asseoir, et immédiatement, il m'a posé une question qui m'a un peu déconcerté. "Crois-tu en Dieu ? -Je suis catholique. -Je ne te demande ni la religion dans laquelle on t'a éduqué, ni même si tu es membre d'une église quelconque. Je te demande si tu crois en un principe éternel, bien au delà des notions de temps et d'espace, qui soit à l'origine de la création de toutes choses ? Je pense oui, ai-je répondu en hésitant. Et maintenant, crois-tu au Diable, ou si tu préfères, en un principe transcendant lui aussi, mais voué à la destruction ? Je n'ai pas eu de peine à lui répondre, car j'avais déjà réfléchi à cette question. "D'un côté, je me dis que si Dieu est infiniment bon, infiniment puissant, et tout ça, on comprend mal qu'il ait créé le Diable, à moins, bien sûr, que le Diable n'ait pas été créé, mais que lui aussi soit éternel, comme Dieu. Mais alors, la lutte entre Dieu et le Diable continuera éternellement. D'un autre côté, si Dieu existe, mais pas le Diable, d'où vient le mal ? Et puis, je sais que toute chose possède son contraire, et Dieu ne fait sans doute pas exception à la règle. Bien, me dit-il, je vois avec plaisir que tu sais réfléchir, et que tu daignes utiliser ton cerveau pour t'interroger sur des abstractions. Maintenant, fais très attention à ce que je vais te demander. - 1 - Tu as déjà lu quelques livres de magie. Penses-tu que les pratiques qui y sont décrites sont destinées à faire intervenir Dieu lui même, ou des "anges" qui seraient ses serviteurs, le Diable ou ses sbires, ou bien les deux ? Je ne sais pas, dis-je. Dans le village, certains vieux disent qu'il existe des sorciers qui ont beaucoup de pouvoir parce qu'ils ont fait un pacte avec le Diable, qui prend en échange leur âme après leur mort. Mais je n'y crois pas beaucoup, je dois même dire que je n'y crois pas du tout. Et tu fais bien, s'exclama-t-il, visiblement satisfait de ma réponse. Car qu'il existe ou qu'il n'existe pas un Dieu et son contraire, cela ne change absolument rien à l'af faire. La magie s'adresse à des forces naturelles; certaines de ces forces sont connues maintenant des hommes de science; d'autres restent à découvrir; d'autres encore ne le seront sans doute jamais, car elles sont trop subtiles pour être appréhendées par des instruments. Mais qu'elles soient connues ou non, le "mage" ne les aborde pas de la même manière que le scientifique. Voilà pourquoi on peut pratiquer la magie quelque soit sa religion, et même si on ne croit en aucun Dieu. Ces forces, a-t-il ajouté, sont puissantes. Il faut donc apprendre à s'en préserver lorsqu'on les utilise. Elles peuvent faire indifféremment le Bien (ou ce qui est considéré comme tel) ou le Mal. Je vais prendre un exemple simple pour que tu comprennes mieux ce que je veux te dire: l'électricité. Tous les artisans te diront que le métier d'électricien ne supporte pas l'amateurisme, car l'électricité peut tuer. Les militaires s'en servent quelquefois pour torturer des prisonniers, et on peut considérer que c'est mal; mais elle peut aussi éclairer les maisons et les rues la nuit tombée, faire marcher les appareils ménagers, les machines dont notre industrie a besoin, et on peut considérer que c'est bien. Bien ou Mal, cela ne provient pas de l'électricité elle même, mais de la manière dont elle est utilisée. C'est exactement pareil en Magie. Les mêmes forces peuvent être utilisées indifféremment à des fins bénéfiques ou à des fins maléfiques; ça ne dépend que de la volonté de l'utilisateur, de l'opérateur. - 2 - Voilà pourquoi ceux qui font une distinction entre une "Magie Blanche" exclusivement bénéfique et une "Magie Noire" exclusivement maléfique se trompent lourdement, et prouvent par là qu'ils n'y connaissent rien. Chaque fois que tu rencontreras l'un ou l'autre de ces termes dans un livre d"'occultisme", tu pourras en abandonner la lecture sans remord. Il faut maintenant aller plus loin et voir ce qui distingue la pensée scientifique et la pensée magique. En gros, on peut dire que la science déduit les effets des causes, et induit des causes les effets, en prônant que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Alors que la magie classe d'abord des concepts, des phénomènes, des objets, en familles diverses; elle dit ensuite qu'à l'intérieur des ensembles ainsi formés, chaque élément est en sympathie avec tous les autres éléments d'un même ensemble, et qu'agir sur un ou plusieurs de ces éléments, c'est agir sur l'ensemble tout entier. Là dessus, les mages et les poètes se rejoignent." Il se leva alors et prit deux livres dans sa bibliothèque "Tiens, notes ce poème. C'est important. C'est Baudelaire qui l'a écrit, et il s'appelle Correspondances. La Nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles ; L'homme y passe à travers une forêt de symboles Qui l'observent avec des regards familiers. Comme de longs échos qui, de loin, se confondent Dans une ténébreuse et profonde unité, Vaste comme la nuit et comme la clarté, Les parfums, les couleurs, et les sons se répondent. Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants, Doux comme les hautbois, verts comme des prairies, -Et d'autre, corrompus, riches et triomphants, Ayant l'expansion des choses infinies Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens, Qui chantent les transports de l'esprit et des sens. - 3 - Le poète ne cherche pas à expliquer la nature, à la disséquer. Il ne fait pas un traité sur l'odorat -les parfums, un traité sur la vision -les couleurs, un traité sur l'ouie -les sons. Il considère la nature dans sa totalité, et il pressent alors une unité où tout se correspond les parfums, les couleurs et les sons se répondent. Voici un autre poème -un de ceux que je préfère -Voyelles de Rimbaud. A noir, E blanc, l rouge, U vert, O bleu; voyelles, Je dirai quelque jour vos naissances latentes : A noir corset velu des mouches éclatantes Qui bombinent autour des puanteurs cruelles, Golfes d'ombre; E, candeurs des vapeurs et des tentes, Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombrelles; I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles Dans la colère ou les ivresses pénitentes ; U, cycles, vibrements divins des mers virides, Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux O, suprême Clairon, plein des strideurs étranges, Silences traversés des Mondes et des Anges : - O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! Là, l'auteur va plus loin; c'est lui même qui parle d'Alchimie, une des "Sciences de la Réalité". Il fait correspondre des lettres, des couleurs et des images. A est noir, et lui fait penser à une nuée de mouches. Or, tu apprendras plus tard, si du moins tu persévères dans cette voie, que les lettres ne sont pas seulement destinées à former des mots. Très souvent, elles ont valeur de symboles, elles sont sacrées. Et comme toujours en magie, elles entrent alors en correspondance avec des couleurs, des planètes, des objets, des parties du corps etc." Jétais tellement abasourdi -et sous le charme de sa brillante démonstration -qu'il dut me répéter par deux fois la question suivante : - 4 - "Sais-tu que nous avons trois cerveaux ?" Je crus à une blague. "Non, non, insista-t-il, je ne plaisante pas. Notre cerveau est divisé en deux hémisphères, qui commandent chacun un côté opposé du corps. si par exemple, au cours d'un accident, on est blessé à l'hémisphère droit, c'est le côté gauche du corps qui risque d'être paralysé; si, par contre, c'est l'hémisphère gauche qui est lésé, c'est le côté droit du corps qui risque d'en pâtir. De plus, ces deux hémisphères sont, si on peut dire, spécialisés. L'hémisphère gauche, c'est la science du raisonnement, de la pensée scientifique. Ce sont les neurones de cet hémisphère que tu mets en branle lorsque tu tentes de résoudre un problème de mathématiques. L'hémisphère droit, au contraire, est le centre des sensations, de l'intuition, de l'imagination. C'est lui qui bouillonne lorsque tu écris un poème, lorsque tu es sous le choc d'un coup de foudre amoureux, lorsque tu ressens une émotion esthétique à la lecture d'un poème ou à la vue d'un tableau. C'est lui aussi qui est à l;uvre lorsque le magicien opère, et qu'il visualise une technique que tu devras apprendre à maîtriser. Car cet hémisphère ne pense pas, ne réfléchit pas; il opère des synthèses, il est à l'origine des coups de génie. -Et le troisième cerveau, demandai-je ? -Ah, celui là ! il est partout et nulle part. Il nous baigne tout entier. C'est le cerveau reptilien, l'inconscient collectif, le cerveau de nos ancêtres les hommes des cavernes. Un formidable potentiel d'énergie qui gouverne les instincts. Le cerveau gauche et la culture tentent de l'étouffer. Le mage s'efforce de le réactiver tout en le maîtrisant -car laisser libre cours à nos instincts sans les contrôler peut se révéler très dangereux. As-tu remarqué que nous avons rencontré le nombre trois -trois cerveaux pour un même homme ? On dit que l'on est en présence d'une structure tri-unitaire. La structure tri-unitaire se retrouve dans toutes les traditions. Pour en revenir aux hémisphères droit et gauche du cerveau, il ne faut pas croire qu'ils sont en conflit, sauf chez certaines personnes qui décident délibérément d'ignorer une moitié de leur être, de se mutiler en quelque sorte. Il arrive souvent que les mathématiciens soient aussi des artistes, parfois même d'authentiques initiés. De plus, quand il travaille dans sa partie, le mathématicien fait souvent appel à son "cerveau droit" pour "découvrir" une propriété avant qu'elle soit démontrée. - 5 - Il en va de même du Mage. Il utilise principalement son cerveau droit lorsqu'il médite ou qu'il officie. Mais lorsqu'il compare plusieurs textes "occultes" codés pour essayer de les déchiffrer, c'est à son cerveau gauche qu'il fait appel. Je résumerai tout cela en disant que quoique l'on fasse, il faut tâcher d'être "équilibré". utiliser au maximum tout ce que la nature nous a donné, équitablement, pour parvenir à un développement harmonieux. Et c'est bien plus compliqué que tu ne le crois. Cette idée de nécessaire complémentarité, les chinois l'ont exprimée avec le symbole du Yin Yang. Je vais te montrer comment on le dessine." D. a alors pris un compas, une règle et un crayon, et m'a expliqué la marche à suivre pour construire un "yin-yang". "Tu traces un cercle et son diamètre, et tu traces deux autres cercles dont le rayon sera égal à la moitié du rayon du grand cercle. Ces deux cercles sont tangents entre eux, et leur point de contact est le centre du grand cercle à chaque extrémité de son diamètre. Ensuite, tu effaces le diamètre, et également, symétriquement par rapport à ce diamètre, un demi-cercle de chacun des deux petits cercles tangents. A l'intérieur de la partie inférieure et de la partie supérieure du grand cercle ainsi divisé en deux, tu traces un autre petit cercle. Tu laisses une des deux moitiés du grand cercle en blanc, mais tu noircis le petit cercle qu'elle contient. Tu noircis la seconde moitié du grand cercle, en laissant en blanc le petit cercle qu'elle contient. Tu obtiens ainsi la représentation du Yin-Yang. Originellement, les chinois appelaient yang le versant d'une colline exposée au soleil, et yin l'autre versant. Par extension, et par correspondances, on peut dresser un tableau, incomplet bien sûr, de ce qui est yin et de ce qui est yang. Yin Yang obscur lumineux - 6 - terrestre négatif féminin passif pair la lune céleste positif masculin actif impair le soleil Mais il faut bien que tu comprennes que le yin et le yang, dans lesprit des chinois, ne sont pas antagonistes. Ce nest pas une ligne droite sèche qui les sépare : cest une courbe mouvante qui dessine leur frontière. Yin et Yang se complètent : ils sont inséparables lun de lautre. Il ny a pas de yin sil ny a pas de yang, et vice versa. Et à eux deux, ils constituent une unité ou, comme le dira plus tard un grand initié, John Dee, une monade. Et ce que dit le Yin Yang, les Egyptiens, par exemple, le disaient aussi. On voit écrit sur un de leurs monuments « Je suis Un qui devient Deux ». Une formulation que reprendra Pythagore. Et un autre « connaissant », Knorde Rosenroth « le Ciel et la Terre étaient attachés lun à lautre et sétreignaient mutuellement ». Ce symbole est vieux de plusieurs millénaires. Mais il atteint déjà une totale perfection. Car remarques bien : au c;ur même de lespace yin, qui est noir, il y a une parcelle de yang (le cercle blanc) : et au c;ur même de lespace yang, qui est blanc, il y a une parcelle de yin (le cercle noir) .Chacune de ces deux entités couve en son propre sein son complémentaire. Lhomme est naturellement « yang » il doit, sil veut devenir un « homme total » cultiver le côté yin Zféminin Zqui est en lui Z le petit cercle noir. A linverse, la femme naturellement yin cultivera son cercle blanc le yang. Comme la femme a une capacité naturelle à enfanter du sexe opposé, cela lui sera généralement plus facile. Le mathématicien, lhomme de science, doit apprendre à se fier aussi à son intuition : lartiste et le mage ne doivent pas dédaigner le concours que peuvent leur apporter les sciences exactes et la technique. Jaimerais maintenant en revenir à la fonction du cerveau droit, en magie. Certes, il existe divers processus pour le développer, plus ou moins efficaces. Mais il nen existe quun seul qui ten - 7 - donnera la pleine maîtrise, et c'est l'initiation. Je te parlerai beaucoup plus longuement, en temps utiles, du parcours initiatique, le seul qui puisse te mettre en contact direct avec réalité. Je puis juste te dire pour l'instant que l'initiation e toute barrière entre le sujet et l'objet, entre le sujet et lobjet, entre le penseur et et la pensée, entre l'acteur et l'acte." Là dessus, il me montra une photo : "regardes, ce sont des adeptes d'une technique bouddhistes, le Zen, qui s'entraînent au tir à l'arc. Tu peux penser, à les voir, quils sont concentrés, comme tous les sportifs dans l'effort. s en fait, c'est différent. Ils s'efforcent de s'oublier eux mêmes, de s'identifier à la flèche, à la cible, de ne faire plus un avec elles. C'est une notion difficile à comprendre. En fait, on ne peut pas la comprendre. On ne peut que l'éprouver. Suivant les pays, suivant les époques, les modalités de linitiation peuvent être différentes. Mais les effets, les résultats sont les mêmes. Revenu sur terre, si je puis m'exprimer si, l'initié décrira à sa manière ce qu'il a vécu. Mais c'est même expérience qui est partagée par tous. Linitiation est souvent l'affaire de toute une vie. Et avant que accéder, il y a une période plus ou moins longue dobservation, où on teste le postulant, ses capacités physiques psychiques, sa volonté, sa persévérance, et beaucoup de choses encore. On appelle souvent cette période la période du péristyle. Autrefois, les initiations se déroulaient dans des temples, mais les candidats ne pouvaient pénétrer à l'intérieur du temple. Leurs "quartiers" se trouvaient autour de la cour intérieure. Considères que tu viens aujourd'hui de pénétrer dans un péristyle initiatique. Il ne tient qu'à toi, si tu le désires, d'aller plus loin, et de gravir un jour les marches du temple. Dans le péristyle, on ne "fait pas de magie", puisqu'on n'est pas initié, et que seuls les initiés peuvent pratiquer avec succès la magie. Ca a l'air tout bête ce que je te dis, presque une lapalissade, et pourtant, c'est très important. Dans ta vie, tu as de nombreux ouvrages sur l'initiation et la pratique des arts magiques: certains auront été écrits par des charlatans, et tu le découvriras facilement, puisqu'au fur et à mesure de cet enseignement, je te donnerai toutes les clefs pour les démasquer. - 8 - Mais d'autres ouvrages auront été écrits par des savants : des historiens, des ethnologues, des psychologues, des psychanalystes. Leurs titres de docteur en ceci ou en cela pourront t'impressionner. I1 arrivera même que tu me dises pourtant Freud a écrit .... pourtant Lévi-Strauss a écrit, pour tenter de me contrer. Je ne nie pas qu'ils soient honnêtes. Je ne nie pas qu'ils aient écrit ce qu'il pensaient. Mais, d'un point de vue magique, s'ils ne sont pas initiés, ce qu'ils écrivent ne vaut guère mieux que les pitoyables errements des charlatans. Les philosophes peuvent discourir sur les sciences, et les scientifiques philosopher la magie, elle, se vit de l'intérieur. Comme la souffrance, comme la joie, comme l'enfantement et comme la sexualité. Les hommes peuvent écrire sur l'accouchement, le décrire, faire une thèse médicale. Ils ne sauront jamais ce que c'est. C'est sans doute pour cela que les femmes leur feront toujours un peu peur. Elles connaissent un mystère qu'il leur est interdit de connaître. Comme la magie, pour les non-initiés. Revenons au péristyle. Dans le péristyle, on ne fait pas de magie. On fait, seul ou en groupe - mais toujours sous la conduite de quelqu'un - des "expériences". Ces expériences - dont les conclusions sont souvent étonnantes - ont pour but de bousculer les dogmes de la "raison raisonnante", de nettoyer le corps et l'esprit des habitudes acquises, des préjugés et des apriorismes qui proviennent de l'éducation. On doit se présenter nu, vierge de toute culture, aux portes du temple. Ne serait ce que pour éviter de polluer ses futurs "frères initiés". Lorsque l'on va prendre un bain dans une piscine publique, il est obligatoire de prendre une douche auparavant. Pour faire ces expériences, on utilise des forces peu connues du reste des humains - mais qui sont cependant tellement puissantes que, pour ainsi dire, elles marchent toutes seules. Pas besoin d'être initié pour appuyer sur un interrupteur et faire jaillir la lumière - mais tu me concéderas qu'au moyen-âge - ça aurait bousculé le cerveau de plus d'un. Pas besoin d'être initié non plus pour utiliser des "graphiques émetteurs". D. s'interrompit un instant, puis se leva de son fauteuil et se mit à arpenter la pièce. Je crus que c'était pour reprendre son - 9 - souffle. Mais passant derrière moi, il jeta un coup d;il sur le carnet que je tenais ouvert sur la table. Catastrophe Subjugué par son discours, je n'avais pris que quelques notes. Comment allai-je pouvoir retranscrire tout ce qu'il m'avait dit ? D'autant plus que je n'avais pas tout compris. J'étais plus sensible au charme de sa voix, au flot dans lequel elle m'emportait, qu'au sens de son discours. Trop de choses à la fois, que je ne saisis pas, que je ne comprends pas. Il ne me reste de vraiment utilisable que le dessin que j'ai fait sur les deux cerveaux, et le graphique du Yin Yang. Plus quelques citations incomplètes, pour la plupart. Sentant son regard poser sur moi, je me suis retourné vers lui, plein de honte. Il me souriait. "Ce n'est pas grave, m'a-t-il dit, j'avais prévu cela." Et il s'est dirigé vers un pan inférieur de la bibliothèque qui était masqué par la table; puis il m'a invité à venir. Il y avait un magnétophone qui tournait. J'ai tout de suite compris que toute notre conversation (surtout la sienne, car je n'avais pas beaucoup parlé) avait été enregistrée. "Mais je n'ai pas de magnétophone, lui ai-je dit (c'est amusant de retranscrire quelque chose que l'on entend sur bande, et d'ajouter des bouts de phrases comme -lui ai-je dit. Mais D. tient à ce que tout soit écrit, en bon français. Il a beaucoup insisté là dessus, après la première séance d'aujourd'hui) . "Qu'à cela ne tienne, m'a-t-il répondu. Tu l'emmèneras chez toi, avec la bande, et tu le rapporteras chaque fois que tu viendras ici. Je n'en ai plus besoin, maintenant que tu es mon scribe." Il s'est assis de nouveau. "sil n'est pas magique, le poème de Rimbaud -Voyelles -est à le moins inspiré: Ce n'est pas pour cela que sa forme est débridée -bien au contraire. Les rimes riches sont là pour en témoigner. Il en va de même dans les expériences magiques. On doit observer protocole précis, sous peine que l'expérience ne rate -ou qu'elle devienne dangereuse. t'ai-je dit que les graphiques émetteurs étaient des formes très puissantes. Encore faut-il respecter leur mode de - 10 - fabrication, et quelques autres règles que je vais te dévoiler au fur et à mesure, dans les semaines à venir. Tout d'abord, lorsque ce sont des formes planes, on ne les trace pas avec n'importe quelle encre, ou avec un vulgaire crayon, mais avec une encre spéciale, que l'on appelle l'encre de grenade, qu'il te faudra faire toi même, car elle ne se trouve pas dans le commerce. Je vais aujourd'hui commencer, devant toi, la préparation de l'encre de grenade qui te sera réservée. La grenade, vois-tu, dit-il en désignant les fruits qui se trouvaient sur la table, est le fruit qui provient d'un arbuste, le grenadier. Il est vraisemblable qu'il soit originaire de Perse. En tout cas, cet arbuste et ses fruits ont toujours été liés à des rites ou à des cérémonies religieuses au cours desquelles on utilisait ses fleurs et ses fruits, parce qu'on disait qu'ils renfermaient quelque chose de mystérieux. Il en fut tout au moins ainsi chez les Phéniciens d'abord, puis chez les Grecs et les Romains, et cette tradition s'est maintenue. On prend donc cinq ou six grenades bien mûres de telle sorte qu'en les épluchant grossièrement, un peu de la chair du fruit adhère à la peau. (Ce disant, il joignit le geste à la parole). Puis, on met ces morceaux dans un flacon de verre. On verse ensuite dessus de l'alcool de vin pur qui titre au moins 90°C. On recouvre les peaux avec cet alcool; on bouche hermétiquement le flacon avec le bouchon du liège; et on place le tout dehors, sur le rebord d'une fenêtre, de telle sorte que le jour, les rayons du soleil frappent ce mélange, et la nuit ceux de la lune." S'étant exécuté, il me dit : "On n'y touche plus durant 28 jours, soit la durée environ que la lune met à accomplir une révolution. Dans 28 jours, nous irons voir ce que devient ton encre de grenade." Voilà, dit-il en me congédiant, nous avons terminé pour aujourd'hui. Je te reverrai samedi prochain, à la même heure. N'oublie pas le magnétophone. Rédiges tout cela en bon français. Relis le souvent. Même si tu ne comprends pas tout, essaie de t'en imprégner. Et tu as une semaine pour préparer des questions à me poser lors de ta prochaine visite." - 11 - Heureusement que les vacances approchent et que, les compositions étant terminées, je n'ai plus beaucoup de travail scolaire à faire à la maison. Je ne suis pas bien habitué à l'usage du magnétophone, et ce n'est pas facile de retranscrire (je devrais peut-être, si je continue à aller fréquemment chez D., apprendre la sténo, cela me serait bien utile) .D'autant plus que je dois faire cela quand mes parents sont absents ou lorsqu'ils dorment, pour éviter qu'il ne me posent des questions. Quoique ça n'ait pas l'air de les intéresser beaucoup, ce que je fais avec D. Du moment que j'ai de bonnes notes en maths, ils me fichent une paix royale. Ils ne m'ont même pas posé de question en ce qui concerne le magnéto (je sais qu'ils ont une confiance absolue en D mon père surtout) . C'est égal; je ne savais pas que pour mon premier cours de "magie", j'aurais droit à une explication de textes concernant un poème de Baudelaire et un poème de Rimbaud. C'est plutôt surprenant, mais ça peut toujours être utile à l'école. - 12 - Samedi 11 juin 1966 Je suis donc retourné ce matin chez l'ingénieur D., emport, avec moi le lourd magnétophone, ce cahier, et une liste questions à lui poser que j'avais consignées par écrit. D. était dans le jardin, en tra1n de s'occuper de ses rosiers. m'a chaleureusement accueilli, comme à son habitude, débarra: du magnétophone, et prié de le suivre immédiatement dans bureau. Rien, en fait, n'a changé dans son attitude, et pourrais tout aussi bien croire que je suis chez lui pour prendre des cours de mathématiques, comme par le passé. Nous nous sommes assis. D. m'a demandé si j'avais bien rédigé le compte rendu de la semaine dernière. Je lui ai tendu cahier, qu'il a lu sans faire de commentaires à peine sourire s'est-il dessiné sur les lèvres lorsqu'il est arrivé à fin de ma narration. Puis, il s'est levé, a mis en marche le magnétophone, après av remis la bande à son début, et m'a enjoint ensuite de sortir carnet de notes. Je dus lui confesser n'en avoir pris aucun, ce qui visiblement l'a fâché. "Ce n'est pas ainsi qu'il faut procéder, m'a-t-il dit. Va j'étais allé au devant des difficultés que tu pourrait rencontrer, aussi avais-je pris le soin de prévoir l'enregistrement de nos entretiens. Et toi, immédiatement, tu reposes complètement sur cette facilité qui t'es accord Pourtant, progressivement, il faudra que tu apprennes à passer de ce support. Imagines que nous nous rencontrions l'extérieur de chez moi, ou en pleine campagne, comment feras ? Il faut savoir utiliser la technique, mais ne pas non plus devenir l'esclave. Donc, même si tu sais que le magnétophone là pour t'aider si tes notes sont insuffisantes, ou illisible tu ne dois cependant pas négliger de faire l'effort d'écrire quintessence de nos conversations, ne serait ce que parce ceci t'apprendra à faire la part entre le futile et l'essentiel Souviens toi je t'avais fait la même remarque lorsque je donnais des cours de mathématiques: avant de te perdre dans des - 1 - calculs, rumines la question que l'on te pose et demandes toi pourquoi on te la pose. Là, c'est pareil. L'enregistrement te restitue une scène indifférenciée; tes notes te disent comment tu l'as perçue." Là dessus, il alla chercher un cahier et un crayon et me le tendit. Je ravalai tant bien que mal ma déconvenue, mais son large sourire effaça en moi toute trace de honte. "Eh bien, me dit-il, (ce maudit magnétophone m'énerve, je suis sans cesse obligé de revenir en arrière), je suppose que depuis samedi dernier, tu as eu le temps de te poser des questions ? -Des tas, lui répondis-je, d'ailleurs, je les ai toutes notées. -Fort bien, mais les as tu notées selon l'ordre d'importance qu'elles ont pour toi, ou selon un ordre logique ?" Une fois de plus, j'étais pris en faute. J'avais jeté mes questions en vrac, sur le papier, comme elles m'étaient venues à l'esprit, et je ne les avais pas classées. "Il est important, pour que cet enseignement te soit profitable - notes que c'est valable pour tous enseignement -de pratiquer avec ordre et méthode. L'ordre semble prendre du temps avant. Le désordre en fait perdre beaucoup après -et parfois il est cause de maux bien plus terribles qu'un simple retard. De plus, agir, et surtout parler, sans réfléchir, est une preuve de paresse, et un mépris insupportable de l'importance réelle des mots. Tu apprendras d'expérience que cet enseignement ne supporte pas la paresse, et plus tard que les mots ont une valeur quasi sacrée qui oblige à ne les proférer qu'à bon escient. Prends donc le temps de faire cet exercice, et tu commenceras par me poser la question la plus importante de ton point de vue. Peut-être ma réponse à cette question t'évitera-t-elle de m'en poser d'autres. Je te laisse, pour ne pas te troubler, le temps que tu te livres à ce travail." Resté seul, je m'exécutai. Je sortis ma feuille et notai mes questions par ordre d'importance. Cette tâche me prit un certain temps, car elle m'obligea d'une part à réfléchir aux interrogations que je comptais lui poser, d'autre part à éliminer certaines d'entre elles qui faisaient double emploi. Je pus ainsi constater que la méthode de l'ingénieur D. avait du bon. - 2 - A peine avais-je fini que la porte s'ouvrit, et qu'il revint s'asseoir à sa place -il a peut-être le don de double vue. (Note de l'éditeur effectivement, l'ingénieur D. avait développé en lui au plus au point les facultés de bilocation et de prescience. Nous en aurons confirmation par ailleurs dans ce cahier et dans les suivants. Il enseignera un jour à l'adepte les techniques précises qui permettent de développer, puis maîtriser parfaitement ces facultés, lorsque ce dernier sera suffisamment avancé pour recevoir cette parole. Cet enseignement est clairement et totalement consigné dans l'un des cahiers à venir). D. me trouble. A la fois, je le sens proche de moi, (et c'est différent de mes camarades, cette proximité), bienveillant, dirai-je, comme jamais je ne me suis senti proche d'aucun adulte, et terriblement éloigné... plus loin de moi que ne le sont mes professeurs du lycée. Qui plus est, cet exercice d'écriture est falsifié. D. m'a recommandé de ne négliger, dans cette relation, aucun des sentiments que j'éprouve au cours de ces séances, même envers lui. Mais d'un autre côté, il lit ce cahier, et au moment où j'écris, je sais qu'il le lira. Il m'est donc difficile d'être totalement honnête. D'autant plus qu'on m'a déjà fait le coup. C'était en classe de troisième. La prof de français avait donné un devoir: "Décrivez une journée à l'école". Et elle avait dit : "Soyez sincères". Je l'avais été. Je n'avais rien caché de ma peine à me lever chaque matin, des cars de ramassage scolaire bondés, de la cigarette fumée en cachette dans les waters, des bâtiments sinistres, des professeurs qu'on aime parce qu'ils savent faire en sorte qu'on se tienne tranquilles sans punir, des autres qu'on chahute, quand ils ont le dos tourné, et qui punissent ; alors, on les chahute encore plus. J'avais aussi parlé d'elle, en la nommant. Je lui avais dit qu'elle était un peu trop "bébé", et que je n'avais pas aimé "La Princesse de Clèves", de Mme de La Fayette, qu'elle nous avait décrit comme un chef d;uvre. Je lui ai dit aussi que tout le monde l'appelait "Fanfan" (elle s'appelle Françoise) , et qu'elle criait trop, et qu'elle était injuste de nous donner tant de travail durant les vacances. Je n'aurais pas du, mais elle avait dit "soyez sincères". J'ai eu ma plus mauvaise note de l'année : 5/20. J'ai compris. Il ne faut pas faire confiance! Peut-être - 3 - que D. est comme cette prof de français. Il me dit "écris tout" et puis, il m'attend au tournant. Mais pourquoi ? C'est une question qui me trotte dans la tête. Peut-être la question la plus importante que j'aurais à lui poser. Mais je la lui pose, en fait. En écrivant ces lignes. Qu'il lira. Comment va-t-il réagir ? Toujours est-il que la première question que je lui posai fut la suivante : "Vous m'aviez prêté divers livres que j'ai tous lus. Mais il y a une chose qui me gêne dans tout ça, c'est que la plupart des auteurs ne sont pas d'accord entre eux sur bien des points, Papus contredit Agrippa, Eliphas Levi et Jean Marques Rivière s'opposent, et il suffit de lire le "Formulaire de Haute Magie" de piobb pour s'apercevoir que le plus grand désordre règne dans tout cela. Ca ne fait pas très sérieux. Que dirait on des mathématiques si personne n'apportait la même réponse à un même problème ? Que c'est de la foutaise ! En plus, beaucoup de ces livres sont incomplets. Les auteurs essaient bien de faire croire que le plus souvent, ils dissimulent un secret que le lecteur devra s'ef forcer de découvrir par lui même. Mais je pense plutôt qu'ils n'en savent rien, et qu'ils dissimulent une ignorance qu'ils n'osent pas avouer. Quelle est ta question, m'interrompit D. ? Eh bien, est ce-que tout cela, c'est sérieux ? Agrippa s'est intéressé tour à tour à la kabbale une interprétation rabbinique de la Bible, et à la philosophie. Il y a des passages intéressants dans ses livres -mais ce n'est pas un initié. Eliphas Levi de son vrai nom Constant, était un prêtre défroqué, qui fut professeur d'hébreu dans un séminaire, qui s'est occupé de politique, et qui à la fin de sa vie tenait un petit commerce de fruits i c'est un historien de l'occultisme, un moraliste, voire un symboliste. Mais ce n'était pas un initié. Papus -de son vrai nom Encausse -était un formidable médecin, un spiritualiste de haut vol, un franc maçon sincère, et un occultiste prolixe. Mais lui non plus n'était pas un initié. - 4 - Quant à piobb -en fait le comte de Vincenti -il s'est contenté de réunir et de classer divers textes qui pour la plupart dormaient sous la poussière dans des bibliothèques ou des collections privées. Et il n'a jamais prétendu être un initié. Remarques bien que presque tous les initiés, grands mystiques, fondateurs de religion, à quelques exceptions près, n'ont jamais rien écrit eux mêmes. Ce n'est pas Jésus qui a écrit les . Evangiles, mais ses disciples, dont certains mêmes ne l'avaient pas connu. Tout ceci explique les fautes et omissions dont tu as fait la remarque. D'ailleurs, lorsque les initiés eux mêmes écrivent, leurs lecteurs ne les comprennent pas." Il alla à sa bibliothèque, et sortit un livre en allemand dont le titre est "Der Weg zum wahren Adepten". (Note de l'éditeur il s'agit du livre de Franz Bardon "Le chemin de la vraie initiation magique" qui n'était pas encore traduit en français à cette époque. Nous partageons le point de vue que D. porte sur cet auteur, ainsi que l'appréciation sur la manière dont il est perçu par le public) . "C'est un livre qui m'a été chaudement recommandé pas des amis de mon pays. A sa lecture, je me suis aperçu que l'auteur avait vécu de l'intérieur ce qu'il narrait, et donc que c'était sans doute un authentique initié (à moins, ce qui est toujours possible, qu'il ait écrit sous la dictée d'un initié -mais cela revient au même. L'identité de l'auteur, en l'occurrence, importe peu) . Or, quand je suis retourné voir mes amis, je me suis rendu compte qu'ils étaient passés totalement à côté de la portée réelle de cette oeuvre. Leur enthousiasme était quasi-enfantin, alors que l'auteur s'élève constamment au niveau du tragique, qui constitue l'un des modes les plus élevés de notre existence. Conclusion: un initié ne peut être compris que par un initié : il peut être appréhendé par quelqu'un qui est déjà sur la voie ; mais le profane qui aura aimé ses écrits aura vraisemblablement apprécié le style ou les anecdotes, et sera resté totalement ignorant du message réel. Je te ferai sans doute un jour si tu persévères, un commentaire complet de ce livre, lorsque tu pourras comprendre son sens réel (Note de l'éditeur: effectivement, ce commentaire - 5 - se trouve dans l'un des cahiers à venir; il éclaire toute l;uvre de Bardon d'un jour entièrement nouveau) .Voilà pourquoi les initiés n'écrivent pas, généralement. Ils savent qu'au mieux, ils seront incompris de leurs lecteurs, et qu'au pire, leurs propos seront interprétés pour servir de caution aux plus détestables travers de l'humanité." La question me brûlait les lèvres : "Mais vous, vous êtes un initié ?" "Oui". La réponse fut ce seul mot. Alors, pourquoi me faire écrire tout cela ? Je ne puis te le dire maintenant". Puisqu'il restait silencieux, je passai alors à ma seconde question: "certains auteurs prétendent faire remonter leur tradition à l'Egypte des pharaons. Comment cette tradition a-t-elle pu nous parvenir, puisque pendant des siècles -jusqu'à Champollion, nous avons tout ignoré de l'écriture de cette civilisation ? Réfléchis un peu à ce que je viens de te dire les grands initiés et les Mystiques, pour la plupart, n'écrivaient pas. Par contre, ils diffusaient oralement leurs connaissances à des personnes qu'ils avaient tout spécialement choisies pour cela, qui, elles-mêmes, le transmettaient oralement, et ainsi de suite. La transmission authentique d'une tradition est donc avant tout orale, et peut fort bien se passer du support de l'écriture. Il suffit qu'un égyptien enseigne un hébreu qui enseignera un grec, et que cela se poursuive, pour que les paroles de l'égyptien finissent par nous parvenir, même si nous ne savons plus parler ou écrire la langue de l'égyptien. Voilà pourquoi le savoir véritable ne s'acquiert pas dans les livres; mêmes si ceux ci sont utiles par les traces qu'ils laissent, l'écriture est lettre morte sans un enseignement vivant, ce que nous appelons une filiation. Il est impossible d'étudier les Sciences de la Réalité complètement si un guide, un maître, ne consent pas à vous les enseigner. Mais c'est vrai aussi de tas d'autres choses. La peinture, la musique, le sport, comme je te l'ai fait remarquer la semaine dernière. - 6 - Ma troisième question fut la suivante : "Vous parlez de magie, vous parlez d'initiation, quelle est la différence entre les deux ? " -"La magie constitue l'ensemble des techniques et des pouvoirs que l'on acquiert progressivement au cours du processus initiatique, exactement comme lorsque l'on passe les premiers degrés des arts martiaux; ces techniques et ces pouvoirs ne sont pas à négliger, loin de là. Ils aident notamment à régler un certain nombre de problèmes que toute personne rencontre au cours de son existence, et permettent ainsi de mieux se consacrer à la seule quête initiatique. Tout simplement, il ne faut pas en abuser- sous peine de ne plus pouvoir jamais s'en passer et d'en devenir esclaves. Ces pouvoirs et ces techniques sont destinés à nous libérer; pas nous asservir encore plus. D'autre part, il faut s'engager moralement à ne pas s'en servir pour nuire autrui. Notes bien que rien ne t'oblige, à priori, à prendre un tel engagement. Rien, si ce n'est la prudence. Car toute action magique a un "choc en retour " (Note de l'éditeur : dans un prochain cahier, D. donne à l'"Adepte" une explication et une démonstration fort brillantes de ce qu'est le "choc 'en retour") .si ton action est faite -et bien faite -dans une intention bénéfique, ce choc en retour, qui agit comme un boomerang qui revient à son envoyeur, sera également bénéfique pour toi. Mais si ton intention était de nuire, tu n'échapperais pas, que tu le veuilles ou non, souffrir un jour ou l'autre les affres du mal que tu as fait et ce serait la fin de ta progression spirituelle. Cependant lorsqu'ils ont atteint un certain niveau de connaissances, les initiés renoncent délibérément aux pouvoirs, qui ne leur servent plus à rien, parce qu'ils ont définitivement solutionné tous les problèmes de leur existence, et parce que leurs préoccupations ne sont plus de ce monde. " J'avoue que cette réponse ne me satisfait qu'à moitié. Il est bien évident que les pouvoirs que confère la magie -et dont j'ai pu me faire une vague idée à travers mes l,ectures, ne sont pas étrangers à mon désir de mener à bien mon enseignement chez D. "Mais alors, lui ai-je demandé, si on doit un jour renoncer aux pouvoirs, qu'est ce qu'il reste, et à quoi bon tout cela ?" - 7 - Il a souri. "Qu'est-ce qu'il reste ? Des tas de choses qu'on ne peut décrire avec les mots. Mais je vais essayer de t'en donner un aperçu - bien pauvre en vérité en comparaison de ce que l'on ressent. Il reste une sérénité à toute épreuve, une vitalité incomparable, un amour sans borne de la vie dans tous ses aspects, même les plus insignifiants apparemment. Il reste surtout que l'initié n'a plus jamais peur de la mort, car l'initié sait, pour l'avoir expérimenté, que la mort n'est qu'une illusion, et que pour ceux qui ont su s'y préparer de cette manière, elle n'est pas une fin, mais un début comme une seconde naissance. Alors, lui dis-je, vous croyez au. paradis ou à la réincarnation? Je ne crois pas. Je sais ce que j'ai vu et expérimenté. Est-ce que vous avez d'autres élèves que moi ? Oui (cette réponse m'a surpris et un peu dépité; je m'imaginais que j'étais le seul "élu"). -Est ce que je les connais ? Je ne sais pas. Peut être en as-tu croisé certains. -Est ce que je les rencontrerai ? Tu en rencontreras quelques-uns, suivant ton avancement, et lorsqu'une telle rencontre te sera utile. Et vous ? Vous êtes encore l'élève de quelqu'un ? Vous avez encore un maître ? Dans ma jeunesse, j'en ai eu plusieurs. Maintenant, j'en ai encore un, avec qui je suis toujours en contact. Mais tu ne pourras pas le rencontrer. Pourquoi ? Parce qu'il est mort." Cette réponse m'a estomaqué. "Vous voulez dire que vous faites tourner les tables, ou quelque chose comme ça ?" Il a franchement ri. "Non, pas du tout. La communication dont je te parle n'utilise aucun téléphone spirite. Elle est d'une toute autre nature. Je ne puis t'en dire plus pour l'instant" (Il m'énerve à toujours remettre à plus tard les explications qui, pourtant, m'intéressent le plus). - 8 - Depuis quelques minutes, D. regardait de temps à autre sa montre. L'heure du repas de midi approchait. Mais j'avais encore une question à lui poser. Je lui en demandai donc la permission, ce qu'il m'accorda bien volontiers. "Vous parlez, comme beaucoup d'auteurs que j'ai lus, de filiation, de tradition. Mais tout ça remonte jusqu'où ? Quand est-ce que ça a commencé ? On n'en sait rien. Certains prétendent qu'il y a eu autrefois des sociétés extrêmement avancées, comme l'Atlantide par exemple, qui se seraient éteintes à la suite de cataclysmes naturels ou de catastrophes produites par leur développement. La Tradition serait alors leur Science que nous auraient transmise les rares rescapés. D'autres disent que ce sont des voyageurs venus du Ciel -des extra-terrestres qui nous auraient en quelque sorte "contaminés". Bien d'autres hypothèses encore sont avancées, mais ce ne sont que des hypothèses. Et même s'il yen avait une -ou plusieurs, car toutes ne se contredisent pas - qui soient vraies ça ne répondrait toujours pas à ta question: car qui aurait enseigné les Atlantes, ou les Extra-Terrestres ? Je crois que c'est une fausse question. Il n'y a pas de maître suprême -ou plutôt, il n'y en a qu'un seul: la Vie, ou Dieu, si tu préfères. Je ne comprends plus rien. La semaine dernière, vous m'avez dit que Dieu n'avait rien à voir avec la magie. Je t'ai dit que Dieu -ou la vie -n'avait rien à voir avec les forces utilisées en magie, et donc avec les pouvoirs. Je le maintiens. Ce sont des forces naturelles. Mais je t'ai dit aussi qu'à un moment de son parcours, l'initié renonçait à utiliser ces forces et ces pouvoirs. A ce moment là, la Vie, ou Dieu, devient sa seule préoccupation, son unique réalité. Et maintenant, dit-il en éteignant le magnétophone, allons manger, car c'est l'heure, et nous avons encore beaucoup de travail -essentiellement pratique -à accomplir cet après-midi." Le repas fut rapidement expédié et nous fûmes bientôt de retour dans le bureau. "Mon but, me dit D., est actuellement de te préparer principalement mentalement à ta première initiation. Nous - 9 - allons donc nous livrer d'abord à des expériences concrètes, qui ont toutes un grand pourcentage de réussite, et qui vont progressivement ébranler ce que l'on t'a appris jusqu'alors. Il ne s'agit pas de remettre en question ton éducation pour l'instant. D'ailleurs, elle reste le plus souvent valable, et en magie comme ailleurs, la surface d'un cercle est égale à 7rR2. Mais je veux que tu touches du doigt que cette éducation est limitée à l'apparence des phénomènes, et qu'il existe d'autres domaines, avec leurs lois propres, dans lesquels tu devras petit à petit pénétrer, puis progresser. Je vais donc d'abord partir de faits bien établis par la Science, m'aider de cette science pour explorer des domaines qui sont au-delà de nos sens, et aborder enfin des contrées que le rationalisme ne reconnaît pas encore, et qu'il ne reconnaîtra peut-être jamais. La lumière est à la fois corps et matière (ça, on le sait depuis la physique quantique, et tu l'étudieras en faculté si tu poursuis des études scientifiques) .La lumière pénètre certaines autres matières, comme le verre ou l'eau, qui se laissent traverser par elle. Mais si cette matière devient trop massive, elle stoppe la progression de la lumière -on n'y voit plus rien si on s'enfonce suffisamment profondément sous l'eau. D'autres matières -la terre par exemple -ne se laissent absolument pas traverser par la lumière. Tu ne peux voir les rayons X, mais leur existence est scientifiquement établie. On utilise ces rayons pour prendre des radiographies parce qu'il peuvent traverser ton corps. Mais si tu recouvres ce corps de plomb, le cliché sera vierge, car le plomb ne se laisse pas traverser par les rayons x. Le rayonnement cosmique est une énergie qui se propage à travers l'espace, les galaxies, les étoiles, les planètes. On ne le voit pas non plus, et pourtant il nous bombarde littéralement à chaque seconde. Rien, ou presque, ne peut l'arrêter. Quant au tellurisme, la science moderne ne le reconnaît pas explicitement, mais les sages de tous temps ont su l'utiliser ou s'en défier (car il peut-être dangereux, notamment pour la santé). Le tellurisme provient de ce que la terre est traversée de milliers de courants, qui lui sont à peu près ce que les nerfs - 10 - sont à notre corps. Les chinois appellent ces courants "les veines du dragon" ; en Chine, on ne creusait ni ne bâtissait quoique ce soit avant d'avoir fait appel à un spécialiste -un Maître en Fong Choei -connaissant parfaitement leur trajet. Le tellurisme explique en partie la radiesthésie. Il faut remarquer que si certaines matières se laissent pénétrer par certaines énergies, selon leurs couleurs, ou leurs formes, ou les deux, elles ne les restituent pas toujours à la sortie comme elles étaient à l'entrée. L'exemple le plus simple est bien évidemment le phénomène de décomposition d'une lumière blanche qui traverse un prisme, ou de l'arc-en-ciel. Ce que l'on appelle depuis quelques années maintenant les "ondes de forme", -dont les égyptiens, déjà, connaissaient les effets et peut-être d'autres avant eux, ce n'est rien d'autre que la manière dont certaines figures -dans le plan ou dans l'espace -réfléchissent ou captent, concentrent ou renvoient à la fois la lumière, le tellurisme et le rayonnement cosmique. Je t'ai prêté il y a quelques temps un livre qui traitait de ces notions." Effectivement D. m'avait prêté un livre de A. de Belizal et p- A. Morel qui en parlait (Note de l'éditeur il s'agit de "Physique micro-vibratoire et forces invisibles", un ouvrage intéressant, mais dont nous comprenons que son aspect scientifique et austère ait rebuté l"'Adepte" -trop jeune à l'époque pour l'apprécier vraiment) .Au bout de dix pages, le bouquin m'est tombé des mains, car je n'y comprenais rien. "Nous allons commencer aujourd'hui a-t-il poursuivi par quelques formes simples que l'on retrouve dans toutes les traditions occultes, magiques, initiatiques- le mot importe peu, car je sais que tu ne fais pas la différence entre ces mots pour l'instant -de la planète. Ces formes, tu les retrouveras dans pratiquement tous les pantacles. -C'est quoi, un pantacle, demandai-je ? -Pantacle -Pan -et j'insiste sur le a -ne doit pas être confondu avec Pentacle -Pen -qui s'écrit avec un e, et qui signifie l'étoile à cinq branches, laquelle représente l'homme. Tu fais encore du latin, et tu as fait un peu de grec, que malheureusement, tu as abandonné après la classe de troisième : c'est dommage! L'étymologie nous sert beaucoup, car les langues - 11 - n'ont pas seulement pour mission de véhiculer de l'information ; elles ont toutes -lorsqu'elles sont pures et originelles, une valeur sacrée; elles sont toutes un moyen de communiquer vraiment avec la Vie. Pantacle p/a/n vient d'un mot grec: pantaklea. Je ne sais pas si on le trouve dans les dictionnaires classiques, car il n'appartient pas à la période classique grecque. Ce mot se décompose en deux parties: panta et klea. Panta est le pluriel de pantos qui se traduit par tout -et klea est un drôle de mot que l'on peut rendre par: fait d'honorer. Donc, les pantacles sont des "faits d'honorer". Là, il y a un problème de traduction est-ce que ce sont "tous les faits d'honorer" ou les faits d'honorer "les touts" ! ? Personnellement, je choisis la seconde. Quoiqu'on puisse se demander ce que peuvent être "les touts". "Tout", normalement, ça n'a pas de pluriel. C'est comme Dieu. Quoique au début de la Bible, il est dit qu'Aelohim créa le monde. Créa, ou créèrent ? Car Aelohim est un pluriel. Tu vois, je te disais la semaine dernière qu'un mage fait aussi marcher son cerveau. Nous sommes en pleine querelle linguistique. Que je ne résoudrai pas aujourd'hui. La première de ces formes géométriques est le cercle. Il se laisse pénétrer par toutes les ondes et toutes les énergies qui viennent le frapper en tous points de sa circonférence. Ces énergies qui le bombardent continuellement passent toutes par le centre du cercle, et se heurtent au point de circonférence diamétralement opposé à leur entrée. C'est la première raison pour laquelle de nombreuses oeuvres magiques se pratiquent à l'intérieur d'un cercle, sur un autel situé au centre. C'est là que l'opérateur reçoit le maximum d'énergies telluriques, lumineuses et cosmiques. Mais il y a une seconde raison; dans les livres empreints de superstition, tu liras que le cercle à une fonction protectrice parce que lorsque le "mage" évoque des entités démoniaques, elles ne peuvent pénétrer à l'intérieur du cercle. C'est bien entendu des histoires de bonnes femmes, des contes à dormir debout, mais comme toutes les légendes et toutes les superstitions, il y a bien sûr un fond de vérité. - 12 - Dans une telle opération, le mage dépense beaucoup d'énergie. Or, si un cercle se laisse pénétrer par tout ce qui frappe sa porte, il ne laisse rien sortir. Toutes les énergies, toutes les ondes émises à l'intérieur d'un cercle se heurtent à sa circonférence, sur laquelle elles rebondissent. L'énergie dépensée par l'Homme de l'Art au cours d'une opération pratiquée au centre d'un cercle revient donc directement sur lui, et ainsi il la récupère aisément. Le triangle équilatéral réfléchit toutes les énergies qui, provenant de l'extérieur, viennent frapper ses côtés. Il ne se montre vulnérable que si ces énergies frappent ses sommets. Alors ces énergies le pénètrent, et suivent la ligne de la bissectrice de l'angle dont c'est le sommet. Il s'ensuit qu'à l'intérieur d'un triangle équilatéral -trois côtés et trois angles égaux - le maximum d'énergie se trouve concentré au point de concours des bissectrices. Il en va de même pour le carré, mais cette fois ci, il y a non plus trois, mais quatre sommets. Mais le triangle équilatéral laisse filer à l'extérieur les énergies qui l'ont pénétré, ou celles qui ont été émises à l'intérieur. Le triangle équilatéral n'est donc pas protecteur, mais hautement émetteur. Par contre, comme le cercle, le carré ne laisse rien fuir. Il est protecteur. Un cercle inscrit dans un carré, ou un carré inscrit dans un cercle, constitue donc une double protection, recommandée dans certain~s opérations. On peut d'ailleurs, en combinant plusieurs cercles et carrés inscrits, renforcer autant qu'on veut cette protection, mais dans ce cas, plus on se protège, moins on reçoit de l'extérieur. C'est particulièrement recommandé pour les débutants. Par contre, une série aussi grande qu'on veut de cercles concentriques se laisse pénétrer par toutes les énergies venues de l'extérieur, mais renforce la protection. L'homme de l'Art jouera avec toutes ces données suivant la nature de l'opération, les circonstances diverses, et sa plus ou moins grande maîtrise. En pratique, on peut également multiplier les associations de deux ou plusieurs figures dans un but déterminé. Je te donne un - 13 - exemple deux opérateurs réunis pour une même opération et voulant surtout "émettre". Ils créent un losange composé de deux triangles équilatéraux opposés par un côté. Cette figure possède deux centres énergétiques d'émission. Chacun des deux opérateurs mettra son autel sur l'un de ces centres. Nous allons maintenant passer à un volume intéressant la pyramide, telle qu'on la rencontrait -et qu'on la rencontre encore -dans l'Egypte ancienne, à savoir la pyramide à base carrée. Tout le monde sait que les pyramides égyptiennes étaient des tombeaux. Mais ce qu'on ignore le plus souvent, c'est que ces pyramides étaient aussi des lieux où se pratiquaient les initiations. D'ailleurs, à y regarder d'un peu plus près, tombeau où se trouve le corps dont s'est envolé l'esprit, ou temple initiatique, cela revient au même. Car pour accéder à l'initiation, il faut d'abord mourir à soi même. La pyramide utilise le symbolisme des nombres. Sa base est carrée et elle a quatre faces. Quatre est le nombre qui symbolise la stabilité, et la terre. Mais ses faces sont triangulaires. Le nombre trois, nous l'avons déjà rencontré la semaine dernière. Avec 4 + 3, on fait sept, que l'on retrouve partout dans la bible -les six jours de la création et le repos du Seigneur, le chandelier à sept branches, etc et dans d'autres livres sacrés. Avec 4 x 3, on obtient 12, qui est le nombre de signes du zodiaque, par exemple. Mais il n'est pas encore temps pour toi de te lancer dans le symbolisme des nombres. Ce que je veux te montrer dans les jours qui viennent, c'est ce que peut faire effectivement une pyramide. Attends-moi ici un instant." Il revint, tenant dans sa 'main la maquette d'une pyramide réalisée en carton fort. "Ceci, me dit-il, est à l'échelle la reproduction de l'un des plus formidables monuments d'Egypte la pyramide de Chéops. Enfin presque, car l'échelle est tellement petite que je n'assure pas la précision au centième de millimètre près. Ce qui ne change rien aux effets, comme tu pourras le voir. - 14 - L'original a été édifié lors du Je millénaire avant Jésus Christ, et c'est, en quelque sorte, une perfection; la littérature à son propos est abondante -souvent délirante. Avant elle, il y a eu d'autres pyramides, mais imparfaites. Comme si les Egyptiens n'avaient compris -ou retenu -qu'un chose : que la forme pyramidale correspondait à leurs aspirations; et comme s'ils avaient tâtonné avant de trouver -ou de retrouver - les proportions exactes. Dans ces pyramides imparfaites, le processus de momification se fait mal, ou trop bien. s'il se fait trop bien, les momies deviennent rabougries, et très vite méconnaissables. Il y a également des pyramides en Amérique du Sud, qui sont le fait de diverses civilisations pré-colombiennes. Pyramides imparfaites, il n'est que de voir leur momies pour s'en assurer. Une pyramide imparfaite peut également être un obstacle à une opération bien menée. si elle ne concentre pas assez les énergies puisque son but est de capter ces énergies, et de les transformer- elle se révèle inefficace. si, au contraire, elle les concentre trop, il se passe à peu près la même chose que lorsqu'on s'expose trop longtemps à des rayons x. La trop forte intensité de ces énergies détruit les cellules, et provoque sans aucun doute des cancers. Chéops, c'est ni trop, ni trop peu. Ach ! Juste ce qu'il faut ! (c'est la première fois que je l'entends prononcer un mot allemand) .Juste ce qu'il faut pour conserver le corps, juste ce qu'il faut pour exalter l'âme à s 'élever." Un long silence sur la bande magnéto. D. rêvasse! Il sourit, un peu béatement. "Te rends-tu compte ? Plus de deux mille ans avant Jésus Christ ! Plus de quatre mille ans avant nous! Et il y a encore des hommes de science pour nous parler, avec une moue condescendante, de préhistoire. Alors que la perfection se trouve au début, au commencement !" Je l'ai toujours connu d'humeur égale, et pour la première fois, je l'ai vu s'enflammer. Il n'y avait aucune haine ni aucun mépris dans ses paroles. On aurait plutôt cru qu'il voyait un spectacle formidable, qui me demeurait invisible. Il s'en aperçut, se reprit, et poursuivit : - 15 - "Ma pyramide a une base carrée de 23,56 cm. Chacun des triangles qui constituent ses quatre faces est un triangle isocèle, deux côtés égaux, je te le rappelle -la base de ces triangles mesure évidemment 23,56 cm, et chacun des deux côtés égaux 22,41 cm. La hauteur de ma pyramide fait donc 15 cm. Toujours en respectant les proportions, j'ai taillé dans un morceau de bois peu importe le bois -un parallélépipède rectangle dont la hauteur mesure 5 cm; soit, à l'échelle, le tiers de la hauteur de la pyramide. C'est là que se trouvait "la chambre du roi" -le sarcophage du pharaon. Là aussi qu'avant qu'il ne meure -et en prélude à sa mort physique -se déroulaient les cérémonies d'initiation. Dernier élément de tout cet attirail -un morceau de carton qui a une forme plane et rectangulaire. Sur ce morceau de carton, j'ai d'abord dessiné un carré, qui a les mêmes dimensions que la base de ma pyramide. J'ai joint les milieux des côtés opposés de ce carré, en prenant soin de faire dépasser la ligne des milieux. Cette opération a un double avantage. D'une part, je puis ainsi déterminer le centre du carré. Mais d'autre part, il est nécessaire que l'une des faces de ma pyramide soit dirigée vers le nord magnétique." Il sortit alors de la poche de son pantalon une boussole, et orienta l'une des extrémités des flèches en suivant l'aiguille de la boussole. Puis, au centre du carré, il posa le parallélépipède en bois. Il s'excusa, s'absenta un instant, et revint avec une boulette de viande fraîche hachée, qu'il me fit sentir. Après quoi, il posa la boulette sur le morceau de bois. Enfin, il recouvrit le tout avec la pyramide de carton, en prenant soin de faire coïncider exactement la base de la pyramide et le carré inscrit sur le carton servant de support. "Nous allons laisser en état tout cela un peu plus de dix jours, me dit-il. Et nous verrons bien ce qu'il advient de ce morceau de viande fraîche. Avec cette chaleur, elle va pourrir, et ça va puer. Tu verras bien. La séance d'aujourd'hui est terminée, je suis attendu au stade." J'ai remporté le magnéto, et j'ai déjà rempli un cahier. - 16 - Nous avons fait de la philosophie, des lettres et de la géométrie. Jai de lencre qui cuit au soleil, et un morceau de viande qui va se putrifier qui mattendent. Et pourtant, je nai pas limpression de perdre mon temps. - 17 - Samedi,18 juin 1966 Le cérémonial ce matin a été pratiquement le même que les deux précédentes fois. D. m'a reçu dans son bureau, où il se trouvait déjà, et a branché le magnétophone. J'ai jeté un coup d;il à la pyramide qui se trouvait sur la table de travail. Je m'en suis approché, mais apparemment aucune mauvaise odeur ne s'en dégageait. Il est vrai que le bureau de D. est bien isolé de la chaleur et du froid. Instinctivement, j'ai tendu la main vers la pyramide, mais D. m'en a empêché : "Non. Je t'ai dit qu'il fallait dix jours au moins. Je conçois que tu sois impatient de voir les résultats, mais il ne faut pas brûler les étapes. si tu veux, tu peux passer un soir de la semaine, à partir de mercredi, et nous verrons ce qu'il en est." Puis, D. a lu le cahier -tout en prenant quelques notes: "Je constate avec plaisir, que tu n'as pas perdu le goût du dessin géométrique, et je te remercie de tout le mal que tu te donnes. Je vais te répondre sur trois points, avant que l'on n'aborde tes questions. Je sais très bien qu'il est difficile -tout au moins au début - d'écrire sur quelqu'un, sachant que ce quelqu'un vous lit. On peut difficilement rester objectif, car la manière dont on pressent que l'autre va réagir peut dicter consciemment ou inconsciemment -certains propos; soit qu'on soit irrité contre lui, et alors on tentera de le faire sortir de ses gonds. Soit, au contraire, qu'on veuille s'attirer ses faveurs, et alors on se montrera exagérément laudatif. Pourtant, c'est un exercice utile rappelles-toi que je suis pour toi un guide, et rien qu'un guide. Tu dois apprendre à ne me voir qu'en fonction de ton intérêt propre, ne pas hésiter, le cas échéant, de m'affronter, tout en restant honnête avec toi même, c'est à dire en reconnaissant tes erreurs dès lors que je te prouve qu'elles sont telles. Se tromper n'est pas grave, au contraire. C'est en se trompant que l'on apprend vraiment. Par contre, persister volontairement dans une erreur parce qu'elle conforte notre vanité ou notre tranquillité d'esprit est une faute. - 1 - Je conçois que certaines expériences aient pu t'échauder, et que cela t'ai conduit à écrire: "il ne faut pas faire confiance". si tu entends par là qu'il convient de se montrer prudent, de ne pas accorder sa confiance à n'importe qui, j'en suis d'accord. Mais défies-toi de faire de cette maxime un dogme. Tu vis en société, et cette attitude finirait par te conduire à la solitude, t'aigrir et finalement fermer ton esprit et ton c;ur à ce que peuvent t'apporter les autres. D'ailleurs il y a des moments où tu es obligé de faire confiance. Quand tu montes dans le car de ramassage scolaire le matin, tu fais confiance au chauffeur. Tu aurais raison de rester sur le trottoir si tu voyais qu'il est ivre. A quoi bon risquer sa vie inutilement ? Mais si tu ne fais confiance qu'à toi-même, en toutes circonstances, alors, il ne te reste plus qu'à faire chaque jour la route à pied. Dans certains cas, tu seras obligé de me faire confiance. Ce sera lorsque tu auras quitté un domaine de certitudes, et que tu n'auras pas encore atteint le domaine suivant. Tu ressembleras alors à un équilibriste qui se promène les yeux bandés sur un fil entre deux falaises. C'est moi et moi seul qui guiderai tes pas à ce moment là. si tu ne me fais pas confiance, tu chuteras. Mais bien entendu, avant de t'engager, il faudra que tu aies résolu en ton for intérieur que je suis digne de cette confiance absolue que tu me porteras. Et je ne t'en voudrais pas si, cette confiance n'étant pas inébranlable, tu décides de remettre à plus tard ce dangereux périple. Je t'ai dit qu'il fallait se départir de toute vanité et crois-moi, j'ai l'habitude de mettre en pratique moi-même ce que je recommande aux autres. Enfin je conçois que tu sois impatient. L'impatience est un défaut commun à tous les néophytes. On veut aller droit au but, et on croit que la ligne droite est le meilleur chemin pour y parvenir. Mais comme la vie, l'initiation n'a que faire de cette considération géométrique. La vie est courbe, et c'est en musardant dans ses chemins de campagne qu'on apprend le plus, pas en fonçant sans réfléchir sur des routes toutes tracées. Tous les gestes que tu fais dans la vie courante sont courbes. Lorsque tu veux saisir un verre, tu ne diriges pas ton bras droit sur lui, - 2 - au contraire, tu le contournes par la droite ou par la gauche, suivant que tu es droitier ou gaucher. L'impatience est source d'échecs assurés. si tu n'es pas préparé à affronter une épreuve, tu ne la surmonteras pas. si ton mental n'est pas prêt à recevoir l'évidence d'une réalité, non seulement il la refusera, mais même, il s'empressera parfois de la nier, et persistera longtemps dans cette négation. Cette préparation nécessite du temps -plus ou moins suivant les individus, les prédispositions, la persévérance. Seul, un oeil extérieur, c'est à dire un guide, peut te dire quand le moment est venu. Tous les sportifs ont un manager qui s'occupe ainsi de leur carrière. Et maintenant, si tu as des questions . . ." J'ai sorti mon papier. J'avais pris soin de classer mes questions par ordre de priorité : "Je m'excuse, lui ai-je dit, de revenir sur une question à laquelle vous n'avez pas voulu répondre la semaine dernière, mais c'est vraiment important pour moi. Vous avez dit qu'un initié ne peut être compris que par un initié, alors pourquoi me faire écrire ces cahiers et me recommander de les publier après votre mort ? -Il y a une autre question sous-jacente, me répondit-il, mais que tu n'oses peut-être pas exprimer. Tu veux savoir à quoi tu sers. Tu veux, en quelque sorte, justifier tes efforts. Remarques bien d'abord que l'on ne peut jamais justifier la vie de quelqu'un à sa place. Soit il croit à une survie après la mort, et alors ce devrait être la seule question qui lui importe dans sa vie: se préparer à cette survie comme on se prépare à un évènement formidable; soit il n'y croit pas, et alors qu'importe ? Nous ne sommes plus, dans cette hypothèse, que des poussières que balaieront les siècles, et les siècles des siècles. Pour en revenir aux cahiers, ils te seront d'abord utiles à toi même en les relisant fréquemment, tu pourras toujours te positionner, savoir où tu en es, juger de ton évolution, du chemin parcouru depuis le début de ton enseignement, et du chemin qu'il te reste à parcourir -les nombreuses questions que tu auras consignées et qui n'auront pas encore trouvé de réponse. - 3 - Mais pourquoi les publier après ma mort, effectivement, s'ils restent incompris de la plupart, sauf des initiés eux-mêmes, et je ne doute pas qu'ils le soient ? Tout simplement parce qu'il y a des milliers d'hommes et de femmes peut-être même des millions -qui sont à la recherche d'une autre voie que les pauvres satisfactions de l'existence matérielle. Seulement, ces hommes et ces femmes, généralement, ne savent pas où chercher. pire même, ils ne savent pas ce qu'ils cherchent. Ils ont un désir qui ne sait pas dire son nom. Et ils sont la proie facile de tous les charlatans, illuminés et escrocs qui leur donnent l'impression fallacieuse de combler leur attente. A défaut de comprendre la portée réelle de ces cahiers, ceux-ci pourront leur donner le désir d'initiation véritable. A leur lecture, ils s'exclameront voilà ce que je cherchais. Il ne leur restera plus alors qu'à se mettre en quête d'un guide. Ce ne sera pas facile. Du moins, sauront-ils distinguer, je l'espère, un maître authentique et un bonimenteur de l'occulte. Et puis, comme je te l'ai expliqué la semaine dernière, j'ai d'autres raisons encore: j'obéis à des ordres que je pourrais qualifier de transcendantaux, si je ne craignais de faire de la concurrence à Salvador Dali. Et je te répète qu'à mon grand regret, je ne puis m'expliquer sur ces injonctions il te faudra attendre, pour obtenir une réponse complète qui te satisfasse entièrement. Une autre question ? -Vous comparez souvent l'initiation à la mort. pourquoi ? Ce n'est pas très gai. -Tout dépend, là encore, de la manière dont on considère la mort. Si c'est la fin de tout, effectivement, le parallèle avec l'initiation a de quoi rebuter. Mais si c'est la fin de tout, à quoi bon l'initiation ? A quoi bon, de manière générale ? Par contre, si l'initiation débouche sur une autre forme de vie, dont la plupart des humains, même les croyants sincères, n'ont pas idée, alors, la mort n'est qu'un passage vers cette autre forme. Que l'on redoute; qui peut être douloureux; mais rien d'autre qu'un passage. - 4 - Et si cet état intermédiaire débouche sur un état d'être supérieur en tous points à l'existence, alors la mort doit être vécue comme une libération. Il en va de même de l'initiation. Avant l'initiation, le mental des hommes se satisfait d'illusions -argent, honneurs, gloire, vanité -auxquelles il s'agrippe comme un naufragé à sa bouée. L'homme est en fait prisonnier de ses cautères sur une jambe de bois. Il a l'impression que s'il les lâche, il se noiera, et c'est peut-être bien, effectivement, ce qui lui arriverait; mais il se noierait alors dans l'Océan de la Réunion avec l'Unité, dans l'Océan indifférencié de la Perfection du Commencement. Parfois même, ces bandages illusoires deviennent franchement dangereux, pour lui-même ou pour les autres la consommation effrénée d'alcool, la dépendance envers les drogues, la jalousie morbide, la volonté de puissance, les instincts guerriers, et ce sens de l'honneur dont on se drape pour excuser la bestialité et l'agressivité. Mais rien à faire: ma femme, mon mari, ma maison, mon argent, mon peuple m'appartiennent. J'ai besoin d'eux pour vivre. Je préfère me tuer, et parfois même les supprimer, plutôt que de les lâcher. Voilà ce que se dit celui qui ne sait pas voir. Pourtant, il faudra bien que je lâche tout ça un jour quand je mourrai justement. Ou bien, je les lâcherai avant Zlorsque je rentrerai sur la voie de linitiation. Je ne veux pas dire pour cela quil faille abandonner à leur sort conjoint et enfants, ou encore de vieux parents. On ne se sauve pas au prix de lignorance du sort des autres, ce serait une preuve dégoïsme. Je veux simplement dire quon cesse de dire à tout bout de champ mon ma. Linitiation est une suite de renoncements à tous les rochers auxquels on saccroche comme des arapèdes. Parce quon veut se libérer soi même, et libérer les autres par là même, des contraintes de lexistence, afin de goûter une liberté sans borne, une liberté dont tu nas pas idée. Cest douloureux, toujours. Dangereux, parfois. Mais la sérénité dabord, lillumination ensuite, sont à ce prix. Voilà pourquoi on dit de linitiable quil doit se connaître soi-même pour mourir à lui même. - 5 - Sur ce chemin, ton plus grand ennemi, c'est toi-même. Il y aura en toi une lutte constante entre tes aspirations, et ton mental qui tentera de t'ancrer encore plus dans les réalités matérielles ou affectives. Mais tu remarqueras souvent que ton entourage joue aussi vis à vis de toi le rôle que Satan a joué dans le désert vis à vis de Jésus. Dame C'est que te libérant toi-même, tu voudrais les rendre libres! Or, et je le dis sans péjoratisme aucun, ce qui est l'essence de l'existence, c'est la mentalité d'esclave. Personne ne veut être libéré, et tout le monde aime ses chaînes. Ce sont des garde-fous Se noyer et devenir fou sont pour eux synonymes dans ma métaphore précédente. pourquoi abandonner tous les avantages du confort, de la possession, de l'intelligence même, de l'efficacité, un bon feu de bois, un bon digestif, un bon chien, une bonne famille, une superbe maison, et sortir dans la tempête pour répondre à un appel, et inviter les autres à te suivre ? On en a crucifié pour moins que ça! Avant, bien sûr de récupérer les paroles libératrices du martyre pour les pétrifier dans un dogme. C'est une des raisons pour lesquelles il faut se montrer discret sur sa qualité d'initié. Car tu risquerais de voir ton meilleur ami, ton épouse, tes enfants, tes parents se dresser sur ton chemin. Souviens-toi de ce que je te dis, quelque cruauté apparente qu'il y ait dans mes paroles: s'ils sont aveugles, c'est qu'ils ne veulent pas voir. s'ils sont sourds, c'est qu'ils ne veulent pas entendre. Et qu'il s'en trouvent bien! Malheur à toi, si tu veux leur ouvrir les yeux malgré eux, ouvrir leurs yeux ou leurs oreilles. Il t'accuseront de les éblouir, de les assourdir. Ils n'aiment que le silence et la nuit de leur esprit occupé à compter leurs possessions, à se préoccuper de leur nombril, à se contempler dans la glace, à se demander: suis-je aimable ? Et à faire bien sûr tout le contraire de ce qu'il faudrait pour ça. Bien, dis-je. Il va falloir que je digère tout cela. Mais j'aimerais, si vous le permettez, vous poser une dernière question. Et j'aimerais moi, me dit-il, que tu en termines avec ces formules automatiques de politesse. La politesse, c'est bien quand c'est conscient. Mais quand ça devient un automatisme, ça ne fait que rapprocher l'homme du perroquet. Je te dis donc une - 6 - fois pour toutes que toutes questions te sont permises. Alors, ne répète pas sans cesse: si vous permettez. -Bon, je tâcherai de m'en souvenir. Vous parlez parfois de l'initiation au singulier; mais parfois, il semble que ce soit au pluriel. Je m'explique. Vous m'avez dit qu'à un certain moment, l'initié renonçait aux pouvoirs ? Quand ? Au cours d'une autre initiation ? Il yen a donc plusieurs ? -L'initiation est un processus qui ne s'arrête jamais, dans cette vie terrestre, sauf lorsque survient la mort, qui est en quelque sorte "la grande initiation" ; et, pour certains rares privilégiés, lorsqu'ils atteignent la fusion pleine et entière avec la félicité du commencement. Mais ce processus comporte des étapes, qui sont les cérémonies initiatiques, et entre deux étapes, on approfondit les acquis de la précédente, on se prépare aux épreuves de la suivante. Ces cérémonies sont destinées, entre autres, à te dépouiller de tes attaches illusoires. Ce sont donc autant de morts à toi-même, et également autant de portes qui souvriront sur des espaces inconnus. Le nombre de ces cérémonies est variable suivant les civilisations. Généralement plus la société est primitive, plus le nombre en est réduit, et peut même se résumer à lunité. Il faut savoir que si une société est primitive, cest que ses conditions de vie sont extrêmement difficiles, et que le problème de la survie est un problème essentiel qui occupe tous les instants de lexistence. Pas de temps à perdre, donc, dans de vaines abstractions, ou dans de la sensiblerie. Dailleurs, dans ces sociétés, lindividu a peu dimportance. Il sefface au profit de la pérennité du groupe, de la tribu, et de la race. Dans le cas dune seule et unique cérémonie initiatique, cest toute la vieille peau que linitiateur arrache dun seul coup. Evidemment, ça fait très mal, et il y a beaucoup de casse. Beaucoup ne survivent pas soit psychiquement, soit même physiquement aux épreuves. Linitiation dans ce cas renforce le processus de la sélection naturelle. A linverse, je connais certaines sociétés initiatiques certains Rose + croix `Ou prétendus tels, pour ne pas les nommer, chez qui les degrés initiatiques font des petits. Ils se décantent à la petite cuiller, de peur davoir mal. Leurs - 7 - initiations ne sont plus alors que des parodies, des pantomimes où on joue un mauvais théâtre appris par c;ur et bonjour! On te donne ton diplôme d'initié du 22e ou 33e degré ! De par sa situation géographique, l'Occident (et l'Orient aussi d'ailleurs) , se trouve privilégié. Traditionnellement, on rencontre sept degrés d'initiation -et donc sept cérémonies, qui correspondent à l'évolution normale d'un initiable de nos contrées. Ni trop, ni trop peu. Apprends à te méfier des excès. Nous avons vu de plus que le nombre sept est symbolique. Mais il correspond également à une réalité physiologique que nous étudierons bientôt. (Note de l'éditeur: nous sommes parfaitement en accord avec ce qui précède. Le Grand Collège Initiatique, outre une période probatoire, pratique sept degrés initiatiques. Au Grand Collège, l'abandon des pouvoirs se fait dès le cinquième degré). Rien d'autre ? Non, je crois que ça me suffit pour aujourd'hui. Eh bien, si tu n'y vois pas d'inconvénient, nous allons faire une pause avant de passer à la partie pratique de l'enseignement, et en profiter pour nous restaurer, quoiqu'il ne soit que 11 heures. D. vit seul. On ne lui connaît pas -et on ne lui a jamais connu -ni femme ni enfant. Quelquefois, lorsqu'il s'absente un jour ou deux, ce qui est rare, le voisinage plaisante en disant qu'il est parti voir sa "bonne amie". Mais personne ne l'a jamais vue, ni même ne sait si elle existe. Une voisine s'occupe parfois de son ménage. Mais il se charge seul de son jardin, de ses courses, et de préparer ses repas. A la fin de celui ci, sur le coup de midi, G. F. a débarqué, à l'heure de l'apéritif. Nous en étions au café, mais il a accepté un "Ricard". {Note de l'éditeur : dans l'original des Cahiers, le nom était écrit en toutes lettres. G. F. est mort depuis plus de dix ans, mais par respect pour sa famille, nous avons opté pour des initiales factices) . G. F. est le président du club de foot. A part cela, c'est un des commerçants les plus riches du village. Il tient négoce de bois, charbon, fuel, bouteilles de gaz, sable, graviers, et matériaux - 8 - de construction. Dans sa propriété, il fait aussi de l'élevage de lapins, poules et cochons. Sa femme vend au marché leur production maraîchère. Il a développé parallèlement une entreprise de transports qui tourne bien. Il est au conseil municipal, et c'est lui qui se charge, chaque semaine, de l'enlèvement des poubelles. Il a deux filles, dont l'aînée a été un de mes premiers flirts et c'est un vrai pot de colle. Quand il s'assoit sur une chaise, c'est la croix et la bannière pour l'en faire lever. G. F. a toujours une bonne raison pour venir rendre visite. Mais il l'oublie en cours de route. C'est un cancanier, comme on dit, qui ne cesse de dire du mal de tout et de tout le monde. Sans méchanceté, au demeurant comme dit ma mère "cet homme là, c'est plus fort que lui, il faut qu'il parle, c'est un moulin à paroles; il ferait couper le cou à tout un village sans même s'en apercevoir". Ma mère a du sang portugais dans les veines. Quand G. F. vient chez nous, elle met un balai renversé derrière une porte qu'elle laisse ouverte. Il parait qu'au Portugal, c'est très efficace pour se débarrasser des enquiquineurs. Au Portugal et pour les Portugais, peut-être. Mais sur G. F., ça n'a aucun effet. En l'occurrence, le président du club de foot venait discuter avec D. de la composition de l'équipe, lors du match du lendemain... passer en revue les joueurs en forme, les blessés, et ceux qu'il valait mieux laisser sUr la touche. Bien vite, la conversation dégénéra. Le gardien de but n'est pas mauvais, mais il serait meilleur s'il ne faisait pas la nouba tous les samedis soirs avec les filles les plus effrontées qui soient; remarquez, il a de qui tenir, parce que sa mère, hein, si je vous disais tout ce que je sais. Et là dessus, G. F. s'empresse de salir la mémoire de la mère de notre goal local, qui est morte l'an passé. Tous les autres joueurs -et leurs familles -en prennent alors pour leur grade, y compris les remplaçants. Et puis, vient le tour du conseil d'administration du club, trésorier et vice président en tête, accusés d'incapacité et, pour l'un, d'être cocu. G.F. s'attaque ensuite au maire, qui ne donne pas assez de subventions, et qui ferait mieux de laisser sa place, étant donné que sa ferme -G. F. le sait de source sûre -est presque en - 9 - faillite. Il passe alors l'ensemble du conseil municipal en revue, et personne ne trouve grâce à ses yeux. Il s'acharne particulièrement sur le pharmacien, qu'il traite allègrement de "youpin", ne se rendant même pas compte qu'il s'adresse à un autre juif. Mais D. ne tique pas. Le curé est soupçonné d'aimer un peu trop les jeunes garçons, l'infirmière de coucher avec un client sur trois, les instituteurs d'être des fainéants qui n'apprennent plus rien aux enfants. Quand il a épuisé son stock de médisances, G. F. s'en prend aux politiciens pas un pour racheter l'autre se plaint des affaires qui sont mauvaises actuellement -il vient de se faire construire une villa qui ressemble à un petit château -accuse ses employés de vouloir le voler, etc, etc, tout cela sans écouter rien ni personne, d'une voix monocorde, mais avec un débit haché, en ricanant grassement de temps à autre, sans nous épargner ce que lui ferait si car G. F. se croit le meilleur en tout. Ca peut durer des heures et des heures. Chez D., en tous cas, ça dure plus d'une heure. Apparemment, l'ingénieur ne manifeste aucune impatience. Il écoute calmement. A un moment, un miracle se produit. Mais je ne crois pas qu'il s'agisse d'un miracle. J'ai clairement vu D. faire, avec son index gauche, un signe, comme une croix, ou un triangle, dans sa paume droite. Et G. F. s'est interrompu immédiatement. Il a dit "Qu'est-ce que je disais déjà ?" Personne ne lui a répondu, et visiblement, il n'a pas retrouvé le cours de ses pensées. Alors, il s'est levé. Sans qu'on soit obligé, comme c'est le cas à la maison, de simuler un départ de tous les habitants des lieux. Il a dit, si ma mémoire est bonne: "Bon, j'ai à faire, il faut que je m'en aille". Il nous a serré la main en disant "A tout à l'heure" à D. Il avait l'air troublé. Et puis, il est parti. C'est la première fois que je vois ça. Je suis sûr qu'il y a une relation entre le signe que D. a fait dans sa main, et le départ précipité de G. F. Mais D. m'avait dit qu'à un certain degré d'initiation, on renonçait aux pouvoirs. Peut-être que D. n'a pas encore atteint le stade de cette renonciation? J'avoue que cet incident m'a beaucoup plus troublé - 10 - que tout ce que j'ai pu voir ou entendre chez lui jusqu'à ce jour. "Tu disais, reprit D. lorsque nous fûmes de retour dans son bureau, que la première journée avait été consacrée à la philosophie et aux lettres, la seconde à la géométrie, et tu te demandais à quoi nous passerions celle-ci ? Tout simplement à te préparer, physiquement et psychiquement, à la première opération que tu auras à faire. Le but, vois-tu, sera de se concentrer sur une seule idée, et j'ai bien dit une seule, et cest très très difficile d'y parvenir. On appelle cela le monoïdéisme. Ensuite cette idée unique, il faudra la transformer en image, la visualiser comme une image de télévision, et la projeter hors de ton esprit le plus rapidement possible. Quant à ton corps, il va falloir que tu apprennes à le décontracter totalement, puis, en une seconde, à le bander comme un arc. On n'y parvient que progressivement, et cette douche écossaise n'est pas sans danger. En fait, il faudra que tu arrives à méditer cette idée unique que tu auras retenue dans un état de parfaite détente de tout ton corps, puis à projeter l'image visualisée en même temps que tu le tends à l'extrême. Nous allons commencer aujourd'hui par un exercice de détente. Lâches ton carnet de notes et assoies-toi sur cette chaise." Il s'agit d'une chaise en bois, à haut dossier, recouverte de velours bleu. "Si nous étions des puristes, nous utiliserions la position que les indiens appellent Siddhasana, et que nous appelons nous, s'asseoir en lotus. C'est une position extrêmement relaxante lorsqu'on a l'habitude de la pratiquer, et extrêmement fatigante dans le cas contraire. Cet exercice est déjà suffisamment difficile comme cela pour que nous n'y rajoutions pas de difficultés supplémentaires. Je te demanderai de faire dorénavant cet exercice au moins deux fois par jour, tous les jours, si possible le matin au réveil et le soir avant de t'endormir. La meilleure façon est alors de se - 11 - mettre nu sur le lit, les mains jointes sur le ventre, les jambes allongées légèrement écartées. Si tu crains d'avoir froid, couvres-toi de vêtements amples qui ne soient pas en matière synthétique (d'ailleurs, il serait bon que tu évites dans la journée également de porter des chemises en nylon, ou des sous vêtements de cette matière; cette mode est détestable; je sais que ça se lave facilement, et qu'on n'a pas besoin de repasser. Mais les tissus synthétiques retiennent la transpiration, ils empêchent le corps de respirer, et de s'exprimer) .Une dernière recommandation: tu devras diriger la tête de ton lit au Nord, vers le pôle magnétique (et si tu es amené plus tard à voyager dans l'autre hémisphère, au Sud, bien entendu) Tu pourras laisser ainsi constamment l'orientation de ton lit. Tu verras que tu n'en dormiras que mieux. Mais on peut également -quoique ce soit peut-être un peu plus dur -réaliser cet exercice tout habillé, simplement assis sur une chaise, pour peu qu'elle ne soit ni trop molle, ni trop dure, et que le dossier en soit suffisamment haut, et plein, pour bien épouser le dos. L'avantage, alors, c'est que si à un moment de la journée, disposant d'une telle chaise ou d'un fauteuil, on peut s'isoler quelques minutes, il est possible de pratiquer cet exercice pratiquement n'importe où. Or, il a non seulement son rôle en "occultisme" -dorénavant, quand tu emploieras ce mot dans ton cahier, tu le mettras entre guillemets, -mais il a de plus, quand on le maîtrise bien, le pouvoir de chasser en quelques minutes toute trace de fatigue ou de nervosité excessives. Il est particulièrement recommandé avant un examen, par exemple. Quand la fatigue et la nervosité disparaissent, les idées se remettent en place toutes seules. Une seule exigence -il faut que tu te promènes toujours avec une petite boussole de poche sur toi. Car cette fois-ci, c'est ton visage qui doit être orienté vers le nord magnétique." Il me pria de me lever, sortit sa boussole de sa poche, et orienta la chaise vers le nord. Puis, je m'assis de nouveau. "La première chose que tu dois faire, c'est d'appliquer ton dos contre le dossier. Pas le coller, l'appliquer simplement. Et sans exagérer. Si, un jour, pour une raison quelconque, tu as des - 12 - Problème de dos, cette application ne doit en aucun cas te faire mal. Cet exercice est dérivé du yoga, et il est important que tu comprennes dès à présent toute la différence entre cette discipline et la musculation à l'occidentale. En musculation, on incite à te faire mal, il faut que cela fasse mal pour être efficace, dit-on. En yoga, dès que tu as mal, c'est que exercice est mal fait. La musculation veut dompter la bête en contraignant. Le yoga veut maîtriser le corps en le contrôlant en l'adaptant à chaque situation et à chaque cas particulier. La musculation recherche la performance, le yoga le bien-être du corps et de l'esprit. La musculation renforce les individualités le yoga s'ef force de les dissoudre. Non! Ta position est mauvaise! Tu t'appuies trop sur le dossier la chaise. Celui-ci n'est pas fait pour reposer ton dos, mais pour t'indiquer une bonne direction, comme un fil à plomb. Voilà, comme ça, c'est mieux. Joins tes mains sur le ventre. Non, ne croises pas tes doigts. Mets tes mains l'une sur l'autre -moins crispées -c'est ça. laisses tomber tes épaules. Non, laisses les tomber, mais narrondis pas le dos. Ecartes légèrement tes jambes. Les genoux doivent pas se toucher. Voilà, c'est bien. Je te rappelle le but de cet exercice: provoquer la relaxation musculaire du corps. Ne fais pas d'effort. Laisses toi envahir par cette idée (et là, voix se fit plus grave en même temps qu'il détachait nettement les mots) tous les muscles de mon corps sont détendus tous les muscles de mon corps sont détendus tous les muscles mon corps sont détendus " Je ne puis dire combien de temps cela dura. Un certain engourdissement me gagnait, mais en même temps une sensation agréable augmentait d'instant en instant. Que ressens tu, me demanda D. ? Jai un peu tendance à m'endormir, mais d'un autre côté, je ressens un tiraillement désagréable dans tous mes muscles. Tu as tendance à t'endormir, me dit-il, parce que ta concentration et ma voix t'ont plongé dans un état d'hypnose - 13 - légère. Quant à tes muscles, s'ils te tiraillent, c'est qu'ils ne sont pas décontractés. Ils sont dans leur état normal. Alors pourquoi est ce que je ne ressens pas cette sensation d'habitude ? Parce que d'habitude, tu ne penses pas à tes muscles. Voilà un autre avantage de tels exercices -rendre conscient de ce qui, d'habitude, est régi par des automatismes ou tout simplement éclipsé par la priorité des préoccupations de l'instant. Nous travaillons pour l'instant sur la tension des muscles. Nous travaillerons de même sur la respiration, les cinq sens, le rythme cardiaque. Or tu te rendras compte plus tard, à un certain niveau de pratique de l"'occultisme", qu'il te faudra amener des concepts, des images ou des énergies, qui sont enfouis dans ton inconscient, à la conscience; les amener et les maîtriser. Donc, puisque tes muscles ne se sont pas détendus, nous allons recommencer. Je vérifie avant la position de ton corps. Ca va. Fermes les yeux, si cela peut t'aider. N'essaye pas de te concentrer. Se concentrer, c'est faire un effort. Laisse toi envahir au contraire. Tous les muscles se détendent tous tes muscles se relâchent une sensation de bien-être total t'envahit. Ton corps devient de plus en plus lourd. Ta chair est comme une masse inerte et morte." Mais je n'y arrivai pas au contraire, aux tiraillements s'était ajoutée une sensation de picotement; j'avais des "fourmis" partout; j'en fis part à D. "Cela prouve que chez toi, le mental domine sur le physique. Et aussi, que tu es accroché à ce mental, à ta puissance raisonnante, et que tu ne sais pas t'abandonner, lâcher tes défenses pour faire confiance au physique. sais-tu nager ? Un peu. Sais-tu faire la planche ? Non, je n'y arrive pas. Parce que tu luttes contre l'eau au lieu de t'abandonner à elle. Quand on s'abandonne, le principe d'Archimède fonctionne, et tu reçois une poussée de bas en haut égale au poids du volume d'eau que ton corps déplace; mais si tu luttes, c'est toujours l'élément qui a le dernier mot. As-tu du mal à t'endormir le soir ? - 14 - Souvent, oui. Pour la même raison. Tu as peur de t'abandonner au sommeil, au monde du rêve et des fantasmes. A l'inverse, je parie que tu as tout autant de mal de t'en extraire. Effectivement, j'ai beaucoup de difficultés à me réveiller le matin. Eh bien, ces exercices sont tout indiqués pour toi. Ils t'aideront si tu persévères à les faire deux fois par jour à te rendre un sommeil normal et réparateur en moins d'un mois. Mais puisque tu n'y parviens pas ainsi, pour l'instant, je ne vais pas te forcer. Nous allons donc procéder plus progressivement." D. sortit alors d'un grand carton à dessin deux planches anatomiques. L'une représentait un muscle du bras en tension, et le même muscle relâché. L'autre était un écorché de face et de profil, faisant apparaître tous les muscles du corps. "Gardes les yeux bien ouverts, me dit-il, et regardes bien. Voilà un muscle détendu. Essaies de t'imprégner de cette image. Voilà ce que doivent devenir chacun de tes muscles." Il passa ensuite à la seconde planche, et mit le doigt sur les muscles du front : "Nous allons procéder de haut en bas, en nous attaquant d'abord aux muscles du front. Prépares-toi à le visualiser détendu, complètement détendu." Instinctivement, je m'apprêtai à porter ma main droite à mon front. D. stoppa net ce geste. "Non, tu ne dois pas y toucher. Le muscle doit se détendre de lui même, uniquement parce que ta volonté, c'est de n'en plus avoir, c'est à dire de te détendre totalement." Et il passa ainsi en revue, l'un après l'autre, tous les muscles du corps, revenant tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre. A un moment, il s'interrompit quelques instants, puis me demanda : "A quoi penses-tu ?" Il est vrai que j'avais laissé mon esprit s'égarer, et que j'avais vagabondé de pensées fugitives en pensées fugitives. Je le reconnus, mais fus bien incapable de lui dire quel était l'objet de ma dernière pensée; c'était un peu comme dans un rêve, qui s'évanouit immédiatement au moment du réveil. - 15 - "Je me suis aperçu, me dit-il, que tu battais la campagne, comme on dit, car tu t'es progressivement contracté; il en est toujours ainsi au cours de méditations dès que tu te laisses envahir par des pensées étrangères, le corps, de nouveau se contracte. Nous reprenons." Et avec une infinie patience, il reprit au début. Cependant, il me fallut beaucoup moins de temps pour arriver à relâcher les zones sur lesquelles nous avions déjà travaillé. Cette fois ci la séance ne fut plus interrompue. Elle dura au moins une heure, peut-être deux, peut-être plus. La notion du temps m'avait fui. Après que nous en soyons arrivé à l'extrémité des doigts de pied -et un moment de silence D. me donna subitement un ordre sec: "lèves toi." J'aurais bien voulu, mais j'en fus tout à fait incapable. Mon corps refusa tout simplement d'obéir. Ce n'est pas comme si une force me retenait sur cette chaise. Au contraire, je ne sentais rien peser sur moi; ni comme un engourdissement, qui est toujours désagréable. En fait, je ne sais pas à quoi comparer cette sensation. Peut-être qu'une anesthésie, ça ressemble à ça, mais je n'en ai jamais subie. J'en fut stupéfait et pour tout dire, un peu inquiet, ce qui ne dut pas échapper à D., qui se mit à rire. "Ne t'étonnes pas, c'est tout à fait normal; c'est la preuve que tu es bien décontracté; l'impossibilité de te lever n'est qu'un problème purement mécanique, si j'ose dire. Dans la vie, courante, les muscles sont toujours en état de semi contraction, et ils peuvent donc répondre sur l'instant à toute sollicitation du cerveau. Mais après une bonne séance de relaxation, il faut qu'ils retrouvent auparavant cet état de semi contraction. Essaies de nouveau de te lever." Cette fois- ci, j'y parvins, mais j'avais les jambes dans du coton. "Tu as mis un peu plus d'une minute pour que ton cerveau ait de nouveau la maîtrise consciente de ton corps. C'est l'indice d'une bonne relaxation. Lorsque tu atteindras un état de relaxation totale, il te faudra au moins cinq minutes pour disposer de nouveau à ta guise de tes bras et tes jambes." - 16 - J'éprouvai tout à coup le besoin de respirer profondément, et je demandai à D. la permission d'ouvrir une fenêtre. J'aspirai l'air goulûment. "Encore une réaction normale; plus un muscle est relâché, moins il consomme d'oxygène. Tu as donc réglé le rythme de ta respiration en conséquence, sans même t'en apercevoir. Mais ce rythme, que tu as conservé automatiquement, est insuffisant pour oxygéner tes muscles qui de nouveau se tendent. D'où cette sensation de manquer d'air. Bien, tu vas tâcher de faire des exercices de relaxation chaque matin et chaque soir. Bien entendu, il n'est pas question d'y passer à chaque fois deux heures. Le matin, dix minutes suffisent. Le soir, ce sera le sommeil qui t'envahira qui mettra fin à l'exercice. Et notes, en majuscules, sur le cahier, pour que ça te rentre bien dans la tête : LA RELAXATION EST L'EXERCICE PHYSIQUE QUI DOIT PRECEDER LA MEDITATION SUR UNE IDEE OU UN SUJET UNIQUE. LA TENSION EST L'EXERCICE PHYSIQUE QUI DOIT ACCOMPAGNER LA PROJECTION MENTALE DE L'IMAGE DE CETTE IDEE. Surtout, ne forces pas durant les exercices. Tu constateras dans moins d'un mois, si tu les fais correctement et quotidiennement, à quel point tu as progressé. Je te le répète. Il ne s'agit pas de vouloir, mais au contraire d'abandonner la volonté. Je te prête les planches d'anatomie. Elles pourront t'être utiles. N'oublies pas de les ramener la prochaine fois." Mais j'ai pu constater, durant les quatre jours qu'a durés cette rédaction, qu'il est très difficile de faire ces exercices seul, lorsque personne n'est là pour me guider. - 17 - Jeudi 23 juin 1966 Incroyable ! Je suis passé ce soir, en coup de vent, chez D. pour voir ce qu'il était advenu de la boulette de viande. Elle n'était absolument pas pétrifiée et ne présentait aucune mauvaise odeur. Elle était sèche, sans être dure, comme déshydratée. Comme j'étais très pressé -et D. l'était également -nous n'avons pas échangé trois mots. Et s'il avait changé de boulette ? Samedi 25 juin 1966 Et me voici donc, ce matin, de nouveau chez D., avec tout mon attirail. D., que je trouve en grande conversation avec un jeune couple d'étrangers que je ne connais pas (indiens, libanais?) et qui, après m'avoir débarrassé, me prie de patienter une demi-heure dans le jardin. Il fait un bon soleil et je suis en vacances. J'aurais pu ce matin me rendre à la plage, avec quelques amis, et y passer une agréable journée. Cependant assis sur un banc de pierre, et regardant machinalement des plantations qui me sont inconnues, je sens un calme profond m'envahir. Ce n'est pas de la joie et je ne sais comment définir cet état; je me sens détaché. Je pose mes mains sur le banc, et c'est comme si, pour la première fois, je sentais réellement ce qu'est la pierre. Cette matière inerte, minérale, me semble vivante. Le banc est à l'ombre d'un pêcher, j'ai l'impression de boire la fraîcheur. Et moi, qui ne puis jamais rester en place, moi qui m'ennuie terriblement dès que je suis seul sans rien faire, je ne sens plus passer le temps. Les oiseaux qui chantent, un brin d'herbe qui s'agite sous une brise légère, me plongent dans un état proche de l'extase dont D. me sort, en m'invitant à le rejoindre dans son bureau, après le départ de ses hôtes. Comme de coutume (pourtant ce n'est aujourd'hui que la quatrième "séance" les habitudes se prennent vite avec D. Il semble que sa vie personnelle soit réglée suivant un rite immuable), D. entreprend la lecture du cahier, prend quelques notes au passage, sourit de manière indéfinissable à la fin, et met en marche le magnétophone. "Alors, comme cela, me dit-il, tu doutes que ce soit bien le même morceau de viande qui est resté sous la pyramide ? Selon toi, j'aurais fait -ou pu faire -un tour de passe-passe ?" Cette fois ci, je sens la moutarde me monter au nez, et c'est d'un ton plutôt violent que lui rétorque. "Ecoutez, il faudrait savoir ce que vous voulez. La semaine dernière, c'est vous-même qui m'avez encouragé à consigner par - 1 Z écrit tous mes doutes par écrit. L'occasion se présente, et vous ironisez. Oh m'interrompit-il d'une voix encore plus affable que d'habitude -presque mielleuse -ce n'est pas ton doute qui me chagrine c'est qu'il soit nul et non avenu, car il puise son essence dans ta paresse. En quoi me suis-je montré paresseux ? En quoi ? J'ai réalisé l'expérience devant toi, je t'ai donné toutes les coordonnées pour l'effectuer toi même -pour contrôler par toi même, mais tu n'en as rien fait. Ton doute eut été légitime si le résultat, chez toi, avait été différent de celui constaté ici. Mais on ne doit pas douter du résultat de ce que l'on n'a pas soi-même entrepris. Mais vous ne m'avez pas conseillé de faire un test de contrôle. -Petit garçon, va Crois-tu que je doive t'enseigner tout ce que tu dois faire ou ne pas faire, te lier par des ordres ou des interdits en tout et partout. Certes, il m'arrivera de t'en donner. Mais en l'absence de toute recommandation, ne pourrais-tu manifester un peu d'initiative, un peu de curiosité ? Tiens, tu me fais penser à certains scientifiques bornés qui ne voient dans toutes les Sciences de la Réalité que techniques de music-hall, d'hypnotiseur de foire, de manipulateurs mais qui refusent d'étudier eux mêmes la question." Pan sur mon bec, comme dit le Canard Enchaîné. Une fois de plus, j'ai tort. "Tiens, poursuivit-il sur le même ton, puisqu'on en est au chapitre des recommandations et interjections diverses, le petit garçon a-t-il, comme je le lui avais recommandé, fait quotidiennement ses exercices de relaxation ? (L'ironie est mordante, mais justifiée) . -Oui, lui dis-je. Et alors, dit-il en reprenant un ton de voix normal, ça s'est bien passé ? Oui, dis-je. A chaque fois ? -Mais oui. Menteur. Mercredi soir, tu étais extrêmement tendu à la suite d'une légère algarade avec ton père. Et tu n'as pas pu t'empêcher - 2 - de ruminer ce que tu considérais comme une remontrance injustifiée. si bien que tu n'as pas réussi à relaxer même un seul doigt de pied, ce qui a augmenté ta fureur. Tu t'es même passé les nerfs sur un livre que tu lisais dans l'espoir de t'endormir, en le jetant violemment par terre." Avec ma bouche ouverte et mes yeux ronds comme des billes, je devais avoir l'air idiot, car D. éclata de rire. "Mais comment, lui demandai-je, pouvez-vous savoir tout cela ? C'est mon père qui vous en a parlé ? Non, ton père ne m'a rien dit. D'ailleurs, tu étais seul dans ta chambre, et il ne pouvait rien savoir des suites et des conséquences de votre dispute. Mais alors ? ... Changeons de sujet, veux-tu. Je t'ai dit que chaque chose trouverait son explication, et son application en son temps. (Note de l'éditeur: bien entendu, l'Adepte ne peut savoir, à ce moment là, que D. maîtrise au plus haut point la bilocation - technique qu'il lui enseignera plus tard et qui sera consignée, comme nous l'avons déjà dit, dans un des "Cahiers". On peut se demander et le lecteur avec nous pourquoi D. fait cette révélation à son élève. Nous ne pensons pas qu'il s'agisse là d'une vaine gloriole -tant ce sentiment semble être étranger au caractère du "maître". Nous pensons que s'il agit ainsi, c'est uniquement dans le but d'intriguer son élève -et de lui montrer dès à présent, de façon tangible, la réalité des pouvoirs) .Mais cette petite crise, bien anodine au demeurant, témoigne que tu ne sais pas retrouver ton calme parce que tu maîtrises mal ta respiration. Ce sont les techniques respiratoires que nous allons étudier aujourd'hui. Auparavant, cependant, je voudrais revenir sur deux points : * Ton observation sur la fin de notre précédent repas était juste : c'est bien moi qui ait fait partir notre importun président du club de football. Je n'ai pas utilisée de "pouvoir" spécial pour cela. Je me suis fortement concentré sur mon désir, j'ai "visualisé" (tu mettras ce mot entre guillemets lorsque tu le rapporteras) qu'il se levait de sa chaise et prenait congé, et le résultat ne s'est pas fait attendre. - 3 - La renonciation aux pouvoirs, dès que l'on a atteint un certain degré d'initiation, n'implique pas que l'on doive s'interdire tout désir -et j'avais le désir qu'il parte -toute réflexion - et ma raison me disait que nous avions mieux à faire que de subir des ragots, au demeurant entendus mille fois -toute imagination -et j'ai "visualisé", c'est à dire imaginé, qu'il s'en allait. Car le désir, la raison et l'imaginaire sont inhérents à notre condition humaine. Renoncer aux pouvoirs ne signifie pas l'abandon de cette condition. L'initiation transcende l'homme ; elle ne le réduit pas à l'état végétatif. D'ailleurs la visualisation n'est pas un pouvoir, mais une technique. Tu t'es montré particulièrement observateur. J'ai effectivement effectué un signe avec ma main lorsque j'ai commencé à visualiser. Mais ce signe n'est pas un "signe de pouvoir" -ce n'est pas le signe qui a fait partir G.F., mais le fait que j'ai pu correctement transformer mentalement en scène l'expression de mon désir -la visualisation, je le répète, n'est pas un pouvoir. Mais elle a du pouvoir. Quand tu seras en classe de philosophie, on t'apprendra la distinction fondamentale qui existe entre l'avoir et l'être. Un engramme est une trace laissée -volontairement ou non -dans le système nerveux ou l'inconscient, à la suite d'une situation vécue réellement ou symboliquement. En ce qui concerne ce geste, il s'agit d'un engramme volontaire, et qui m'est personnel. Lorsque j'ai commencé à apprendre les diverses techniques de visualisation, j'ai, à chaque début et à chaque fin d'exercice, fait ce geste. Progressivement, mon corps et mon esprit l'ont associé à la visualisation. Et maintenant, ce geste déclenche à volonté, physiquement et spirituellement, les conditions idéales d'une bonne visualisation. Mais ce n'est vrai que pour moi. C'est un geste inducteur, un code arbitraire. Alors que les gestes de pouvoir, comme les mots de pouvoir, s'originent dans l'inconscient collectif -dans la partie la plus archaïque du cerveau, et qu'ils ont une valeur quasi universelle. Il faudra, toi aussi, que tu programmes tes propres engrammes qui seront en quelque sorte le "sésame ouvres-toi" de ton corps et de ton esprit magiques. - 4 - Tu notes très justement qu'il est difficile -surtout au début - de parvenir à ses fins lorsque personne n'est là pour guider. C'est bien toute la raison d'être de la filiation, qui est une transmission du savoir pour permettre à l'individu de se libérer et d'accéder à la transcendance. Cette filiation n'est pas propre aux arts magiques. L'acquisition du langage en est l'exemple le plus criant. L'enfant apprend à parler la langue du milieu dans lequel il baigne. ( A l'extrême, les enfants sauvages, enlevés ou recueillis par des animaux, et éduqués par eux, ne parlent pas) .Les mots et la syntaxe lui sont .d'abord donnés. Et c'est à lui, ensuite, de les associer pour communiquer ses pensées, ses désirs et ses volontés. Cette filiation -car s'en est une -lui permet alors de s'intégrer dans un groupe. J'insiste beaucoup là dessus: la filiation est un don, jamais une contrainte. Et c'est l'affaire personnelle de qui a reçu ce don de le faire prospérer, de l'enrichir, de l'appliquer à des actions nobles qui contribueront à toujours plus l'élever, ou au contraire de le compromettre dans des vilénies ou dans l'égoïsme, qui ne feront que toujours plus l'enchaîner. Je puis t'apprendre à te révéler à toi même comment éveiller et maîtriser les dons qui sommeillent en toi -cela" c'est la technique. Je puis même te guider en te proposant une éthique -une morale si tu préfères, des arts magiques; mais finalement c'est toi, et toi seul, qui décideras de leur utilisation, -et qui en rendra compte après ta mort lorsque sonnera l'heure du jugement. C'est pourquoi je t'ai un peu sermonné tout à l'heure la première leçon qu'enseigne cette éthique, c'est qu'entre la foi aveugle qui enchaîne et le doute systématique qui est stérile, il y a l'expérience personnelle qui confirme ou infirme. As-tu quelques questions à me poser ?" Je n'en avais pas et le lui confirmai car il avait par avance répondu à toutes celles que j'avais préparées. "Eh bien, je vais maintenant t'enseigner quelques exercices respiratoires, mais auparavant, il convient que tu te mettes - seul si possible dans un état de relaxation complète. Ces exercices, en effet, peuvent, surtout au début qu'on les pratique, avoir des effets secondaires désagréables -comme par - 5 Z exemple, un sentiment d'ivresse ou, plus grave pour qui n'y est pas préparé, un dédoublement du corps et de l'esprit ("une sortie en astral" note de l'éditeur) -si on ne prend pas auparavant cette précaution." Je m'assis donc sur la même chaise que la semaine précédente, et D. se contenta de fixer au mur les planches anatomiques. Curieusement, sans qu'il lui soit besoin de me guider, ni même sans que je le voie (D. se tenait derrière moi) , je parvins rapidement à atteindre un état de relâchement quasi parfait de tous mes muscles. Dans le même temps, la sensation de sérénité, de bonheur impalpable que j'avais éprouvée une heure auparavant, dans le jardin, s'empara de nouveau de moi. Il faut dire que tout, dans la demeure de D., invite à la quiétude. C'est propre et ordonné, mais sans pour cela que l'on se sente "étranger" (comme il m'arrive souvent lorsque je me rends chez d'autres personnes) , confortable sans être luxueux, spacieux sans être démesuré (Nous rapportons ici une réflexion de D. qui n'est pas consignée dans les "Cahiers", mais que l'Adepte nous a narrée lorsque nous nous sommes entretenus avec lui. c'était après que l'Adepte ait convolé en justes noces, la première fois que D. lui rendit visite dans sa nouvelle demeure. D. lui dit "Comme le corps, l'habitation doit refléter la personnalité d'un individu. Elle doit même évoluer avec lui. Ne l'encombres pas de choses devenues inutiles par un vain attachement affectif. Saches y mettre en valeur tout ce qui symbolise tes objectifs prioritaires du moment. Qu'elle soit largement ouverte à tous ceux qui sont dignes d'en franchir le seuil, résolument fermée à tous les parasites et aux âmes négatives qui pourraient la polluer. Comme toutes autres choses dans cette existence, cette maison ne t'appartient pas. Elle t'es prêtée par la volonté divine, pour que tu en fasses un temple destiné à accueillir cette volonté". Note de l'éditeur. Propos confirmés après lecture par l'Adepte) . Lorsqu'il considéra que j'étais suffisamment décontracté, D. s'assit à côté de moi "Fermes tes yeux, me dit-il. Tous les exercices respiratoires doivent être effectués les yeux fermés. Fermes ta bouche. Tous les exercices respiratoires doivent être effectués bouche fermée. - 6 - La voie normale de la respiration, ce n'est pas la bouche mais le nez. La bouche est réservée aux aliments et à leur déglutition. Si, un jour, tu enseignes comme moi les arts magiques à quelques élèves, l'une des premières choses que tu devras vérifier, c'est qu'ils peuvent respirer correctement par le nez bouche fermée. Dans le cas contraire, c'est que les voies nasales seraient obstrués et la première chose à faire serait de leur consulter une intervention chirurgicale. Est-ce que l'air passe bien par tes deux narines ? Oui, répondis-je. C'est important de le vérifier avant l'exercice. L'un de ses buts, en effet, est d'acquérir un parfait équilibre nerveux, et si l'une de tes narines était "bouchée", on obtiendrait juste l'effet contraire. Tu ne dois donc pas le pratiquer lorsque tu es enrhumé. Mais bientôt, tu n'auras plus à redouter quelque rhume que ce soit. Il arrive parfois, cependant- surtout le matin au réveil -que cette symétrie de l'inspiration et de l'expiration ne soit pas parfaite. Dans ce cas, tu appuies avec ton doigt sur la narine qui fonctionne bien de telle sorte que tu obliges l'autre- la paresseuse -à se réveiller. Maintenant, nous allons voir une première application de la décontraction / contraction, dont nous avons parlé la semaine dernière. Tu es bien relaxé mais nous allons devoir faire travailler ton ventre. Pour cela, il est nécessaire que les muscles du ventre - et seulement ceux là - reviennent à leur état normal de tension. Il peut sembler difficile de contracter un point précis du corps quand tout le reste se trouve en état de relaxation. Mais tu verras qu'avec un peu d'entraînement, on y arrive bien. Il est d'ailleurs nécessaire d'y parvenir, car c'est là une des pratiques fondamentales du corps magique. Pour ce faire, tu vas essayer -je dis bien essayer -de chasser toute pensée de ta tête, et ne te concentrer que sur deux choses : ma voix, et l'image de ton ventre. Attention! Une contraction de ton visage montre que tu fais un effort d'attention de mes paroles. Tu tends l'oreille, comme on dit. Ce n'est pas ce qu'il faut faire. Laisses ma voix parvenir jusqu'à toi. Laisses la t'envahir. Et concentres-toi sur les muscles de ton ventre." - 7 - Je dus parvenir au résultat qu'il attendait, car tout d'un coup, il me dit d'une voix forte et impérativement "Bien, je vais maintenant compter jusqu'à trois. Lorsque tu feras cet exercice seul, tu devras mentalement compter jusqu'à trois. A trois, tu contracteras fortement les muscles de ton ventre et tu retiendras cette contraction comme si tu redoutais un coup de poing. Un - deux -trois: vas y ! C'est bien. En contractant ton ventre, tu l'as creusé. Quand je te le dirai, tu le relâcheras lentement pour qu'il revienne à sa position normale tout en inspirant par les deux narines. Tu ne dois penser à ce moment là qu'à l'air, à la Force vitale qui pénètre lentement dans tes poumons. Voilà! Relâches ton ventre. Non. Ne forces pas. Il ne faut jamais forcer. C'est comme ma parole. L'air vient naturellement, de lui même, vers toi et en toi. Ce n'est pas toi qui va le chercher. Ce n'est pas un effet de ta volonté, mais de l'ordre naturel des choses. C'est la volonté de la Force de Vie, pas la tienne. Quand ton ventre aura retrouvé sa position normale, tu compteras mentalement jusqu'à quatre, puis tu contracteras de nouveau ton ventre en concentrant ton attention sur l'air qui sort de ton corps. Cet air est vicié. Il emporte tous les miasmes. Et ainsi de suite. C'est comme si tu lavais tout ton corps grâce à la respiration." (Cet exercice dura, si je puis en juger, environ dix minutes. D. corrigeait mes erreurs de temps à autre. Je m'en souviens mais je ne puis le retranscrire car sa voix est devenue un murmure inaudible sur la bande. Et j'étais si attentif à ce que je faisais que je la subissais mais ne me souviens aucunement de ce qu'elle me disait). D. me fit alors lentement "revenir à moi", puis il reprit sa place derrière son bureau et me pria de m'asseoir face à lui. "Donc, tu ne dois jamais oublier : -que les exercices respiratoires s'effectuent toujours les yeux fermés. qu'il est bon de les effectuer seul, ou avec la seule présence d'un guide. qu'ils produisent parfois une légère induction dans un état un peu hypnotique, et qu'il est bon d'attendre environ une demi - 8 - heure après la fin de l'exercice avant de reprendre une activité normale. Cet exercice, tu ne dois pas le faire excéder un dizaine de minutes à chaque fois. Il serait bon que tu le fasses deux fois chaque jour. Le matin au réveil, et le soir en te couchant. Souviens-toi que les deux narines doivent inspirer et expirer également l'air pur qui entre en toi lors du relâchement, et l'air vicié qui en sort au moment de la contraction, et que ton attention doit se concentrer sur le souffle de vie que tu ingères, et les exhalaisons de mort que tu rejettes. Si, avant les dix minutes prescrites, tu te sens fatigué, tu dois immédiatement arrêter. Tu ne dois pas faire d'effort de volonté l'air entre naturellement en toi, il en ressort tout naturellement. C'est une conséquence automatique du mécanisme des muscles de ton ventre. Non seulement cet exercice t'apportera un grand équilibre nerveux (il est excellent pour les timides et les gens continuellement tendus), mais de plus il te donnera de la vigueur, et t'aidera à maintenir un excellent état de santé général. Enfin, je te le répète, il t'aidera à contracter, par la suite, toute partie de ton corps, alors que le reste de celui ci est totalement relâché. Il te faudra environ trois mois de pratique bi-quotidienne avant de le maîtriser totalement. Après quoi, nous passerons à un second exercice respiratoire. Et maintenant, allons nous restaurer." Après un déjeuner rapide, o. me demanda de patienter quelques instants dans la cuisine pour, me dit-il, "préparer le bureau", puis il me héla par la porte laissée entrouverte. Sur la table de bureau entièrement débarrassée se tenaient (O. me dit de prendre note) une épée dans un fourreau noir, quelques couteaux, un stylet, un canif, un burin, un encrier, un bâton, un encensoir, et ce qui me parut être un livre curieux, fermé par une boucle dorée. "Les bons ouvriers, me dit-il, ont tous leurs outils, auxquels ils prêtent le plus grand soin. Voici tes outils pour pratiquer diverses opérations "magiques". Ils seront bientôt à toi, et à - 9 - toi seul. Les bons ouvriers ne prêtent pas leurs outils. Tu ne prêteras jamais ceux-ci. Les bons ouvriers n'aiment pas que d'autres touchent à leurs outils. Tu ne permettras jamais que quiconque touche ceux-ci. Les bons ouvriers ne se servent de leurs outils que pour le travail auquel ils sont destinés. Tu dois t'engager à ne te servir de ce que certains appellent des armes magiques que dans le cadre des opérations auxquels ils sont destinés. Je sais que tu ne disposes pas de beaucoup d'argent puisque tu ne travailles pas. Aussi, je les ai achetés pour toi. Cependant, il est juste que tu les paies, à la mesure de tes moyens. As-tu sur toi quelques argent qui t'appartienne en propre ? si c'est le cas, mets tout ce que tu possèdes sur cette table." Je venais de recevoir, quelques jours auparavant, trente nouveaux francs de ma mère pour me récompenser de mon passage dans la classe supérieure. C'était là toute ma fortune. Je mis donc six pièces de cinq francs sur la table que D., sans plus de commentaire, s'empressa de faire disparaître dans sa poche. Tout cela est bien beau, mais comment vais-je pouvoir expliquer à mes parents qu'en si peu de temps, je suis devenu raide comme un passe-lacets ? Je ne puis le leur dissimuler qu'en me passant dorénavant de toute sortie. D'un autre côté, D. a raison. Tout ce qu'il y avait sur cette table vaut bien plus que les trente nouveaux francs que je lui ai donnés. Si je veux sincèrement apprendre, je suis bien obligé de faire des efforts financiers, entre autres. "Seulement, poursuivit D., ces objets-là doivent recevoir l'onction du "Ciel" (tu mettras ce mot entre guillemets) pour que, de vulgaires objets, ils deviennent des objets "magiques". Cette onction bien spéciale -qui doit se dérouler suivant un strict rituel -s'appelle une consécration. Nous commencerons -ce sont les hasards du calendrier qui veulent cela -par consacrer ton épée, mardi prochain -si tu es libre. Mais avant je vais te parler un peu de tout ce qu'elle représente." D. sortit alors un curieux jeu de 22 cartes de l'un des tiroirs de sa bibliothèque. Il me les tendit pour que je puisse les regarder une à une. - 10 Z "En as-tu déjà vu de semblables, me demanda-t-il. Non, lui répondis-je. Ce sont les 22 cartes principales -on dit aussi les arcanes majeures du tarot. Les voyantes s'en servent pour prédire l'avenir le plus souvent, hélas, sans savoir qu'elles manipulent un livre saint, un livre muet qui renferme à lui seul une somme considérable de connaissances -comme les sculptures, les décorations et les vitraux de certaines cathédrales. Lorsque tu possèderas quelques rudiments de kabbale, je te parlerai longuement de ce livre. Es-tu libre mardi ? Je n'ai rien de prévu, lui répondis-je. -Nous commencerons donc mardi par consacrer ton épée. Mais je vais donc te parler auparavant des symboles qu'elle représente, pour que tu puisses réfléchir, voire méditer dessus, avant la consécration. L'épée bien sûr, c'est d'abord le symbole de la bravoure, de la puissance. Mais c'est bien plus que cela. Prends la carte 8 de ce tarot de Marseille, qui s'appelle "la Justice". Vois ce personnage qui se tient devant une balance, laquelle pèsera tes actions au moment du Jugement Suprême. Vois aussi ce glaive qui y est représenté. C'est le glaive qui sépare le bien du mal, qui tranche le n;ud gordien qui lie quelquefois nos bonnes et nos mauvaises actions; dans la Bible, il est dit que les anges qui chassèrent Adam et Eve du Paradis portaient des épées de Feu. Je cite (là dessus, il alla chercher sa Bible et l'ouvrit) : Genèse 3 -24 "Il bannit l'homme et il porta devant le Jardin d'Eden les deux chérubins, et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l'arbre de vie". L'épée, c'est encore le symbole de la guerre sainte. Je ne veux pas parler d'une de ces innombrables guerres de religion qui ont vu s'affronter des armées de "croyants" contre les "infidèles", chacun prétendant croire au seul vrai Dieu. L"'infidèle", bien sûr, c'est toujours l"'autre". Je ne veux pas parler de ces boucheries qui se drapent dans la Religion pour excuser les soif de conquêtes des Princes. Je veux parler de la vraie guerre, la seule qui vaille d'être menée, la guerre "intérieure". - 11 - Je vais te lire un poème -d'un poète, peut-être devrais-je dire d'un voyant, un vrai de ce siècle. J'en ai fait une reproduction pour toi. Tu recopieras ce poème et tu le méditeras. Daumal a approché l'initiation par sa voie à lui; il dit -et tu t'en souviendras -que dans les vrais poèmes, et la vie que l'on vit lorsqu'on aborde les sciences de la réalité est un poème -dans les vrais poèmes, les mots portent les choses. Tu comprendras, toi aussi, un jour, comment les mots peuvent non seulement porter, mais déclencher les choses. Ce jour là, tu seras sur le chemin, vraiment, du but ultime; celui qui tue les traites complaisances du rêve et de l'illusion commode. Tu seras poète, savant, philosophe, chanteur lyrique, magicien. Comme le disait Kipling, tu seras un homme. Ecoutes -et reproduis ce texte. Beaucoup, dans des années, te liront qui n'auront pas eu la chance d'en prendre par ailleurs connaissance. Après avoir lu ce texte, ils sauront si ce qu'ils cherchent se trouve dans tes cahiers, ou ne s'y trouve pas. Ecoutes, ne cherches pas à comprendre. C'est écrit au printemps 40, aux heures sombres de l'existence, en pleine guerre. Et quelqu'un ose encore sanctifier "la guerre sainte". C'est le titre du poème. Et quelqu'un parle de l'épée que nous sanctifierons bientôt. LA GUERRE SAINTE "Je vais faire un poème sur la guerre. Ce ne sera peut-être pas un vrai poème, mais ce sera sur une vraie guerre. Ce ne sera pas un vrai poème, parce que le vrai poète, s'il était ici, et si le bruit se répandait parmi la foule qu'il allât parler - alors un grand silence se ferait, un lourd silence d'abord se gonflerait, un silence gros de mille tonnerres. Visible, nous le verrions, le poète i voyant, il nous verrait ; et nous pâlirions dans nos pauvres ombres, nous lui en voudrions d'être si réel, nous les malingres, nous les gênés, nous les tout-chose. - 12 - Il serait ici, plein à craquer des n multitude des ennemis qu'il contient Z car il les contient, et les contente quand il veut - incandescent de douleur et de sacrée tranquille comme un artificier, dans le grand silence il ouvrirait un petit robinet, le tous petit robinet du moulin à paroles, et par là nous lâcherait un poème, un tel poème quon en deviendrait vert. Ce que je vais faire ne sera pas un vrai poème poétique de poète, car si le mot "guerre" était dit dans un vrai poème - alors la guerre, la vraie guerre dont parlerait le vrai poète, la guerre sans merci, la guerre sans compromis s'allumerait définitivement dans le dedans de nos c;urs. Car dans un vrai poème les mots portent leurs choses. Mais ce ne sera pas non plus discours philosophique. Car pour être philosophe, pour aimer la vérité plus que soi-même, il faut être mort à l'erreur, il faut avoir tué les traîtres complaisances du rêve et de l'illusion commode. Et cela, c'est le but et la fin de la guerre, et la guerre est à peine commencée, il y a encore des traîtres à démasquer. Et ce ne sera pas non plus oeuvre de science. Car pour être un savant, pour voir et aimer voir les choses telles qu'elles sont, il faut être soi-même, et aimer se voir, tel qu'on est. Il faut avoir brisé les miroirs menteurs, il faut avoir tué d'un regard impitoyable les fantômes insinuants. Et cela, c'est le but et la fin de la guerre, et la guerre est à peine commencée, il y a encore des masques à arracher. Et ce ne sera pas non plus un chant enthousiaste. Car l'enthousiasme est stable quand le dieu s'est dressé, quand les ennemis ne sont plus que des forces sans formes, quand le tintamarre de guerre tinte à tout casser, et la guerre est à peine commencée, nous n'avons pas encore jeté au feu notre literie. - 13 - Ce ne sera pas non plus une invocation magique, car le magicien demande à son dieu "Fais ce qui me plaît", et il refuse de faire la guerre à son pire ennemi, si l'ennemi lui plaît et pourtant ce ne sera pas davantage une prière de croyant, car le croyant demande à son Dieu: "Fais ce que tu veux", et pour cela il a dû mettre le fer et le feu dans les entrailles de son plus cher ennemi, -ce qui est le fait de la guerre, et la guerre est à peine commencée. Ce sera un peu de tout cela, un peu d'espoir et d'effort vers tout cela, et ce sera aussi un peu un appel aux armes. Un appel que le jeu des échos pourra me renvoyer, et que peut-être d'autres entendront. Vous devinez maintenant de quelle guerre je veux parler. Des autres guerre -de celles que l'on subit -je ne parlerai pas. si j'en parlais, ce serait de la littérature ordinaire, un substitut, un à-défaut, une excuse. Comme il m'est arrivé d'employer le mot "terrible" alors que je n'avais pas la chair de poule. Comme j'ai employé l'expression "crever de faim" alors que je n'en étais pas arrivé à voler aux étalages. Comme j'ai parlé de folie avant d'avoir tenté de regarder l'infini par le trou de la serrure. Comme j'ai parlé de mort, avant d'avoir senti ma langue prendre le goût de sel de l'irréparable. Comme certains parlent de pureté, qui se sont toujours considérés comme supérieurs au porc domestique. Comme certains parlent de liberté, qui adorent et repeignent leurs chaînes. Comme certains parlent d'amour, qui n'aiment que l'ombre d'eux-mêmes. Ou de sacrifice, qui ne se couperaient pour rien le plus petit doigt. Ou de connaissance, qui se déguisent à leurs propres yeux. Comme c'est notre grande maladie de parler pour ne rien voir. Ce serait un substitut impuissant, comme des vieillards et des malades parlent volontiers des coups que donnent ou reçoivent les jeunes gens bien portants. Ai-je donc le droit de parler de cette autre guerre -celle qu'on ne subit pas seulement alors qu'elle n'est peut-être pas irrémédiablement allumée en moi ? Alors que j'en suis encore aux - 14 Z escarmouches ? Certes, j'en ai rarement le droit. Mais "rarement le droit", cela veut dire aussi "quelquefois le devoir" et surtout "le besoin", car je n'aurai jamais trop d'alliés. J'essaierai donc de parler de la guerre sainte. Puisse-t-elle éclater d'une façon irréparable Elle s'allume bien, de temps en temps, ce n'est jamais pour très longtemps. Au premier semblant de victoire, je m'admire triompher, et je fais le généreux, et je pactise avec l'ennemi. Il y a des traîtres dans la maison, mais ils ont des mines d'amis, ce serait si déplaisant de les démasquer! Ils ont leur place au coin du feu, leurs fauteuils et leurs pantoufles, et ils viennent quand je somnole, en m'offrant un compliment, une histoire palpitante ou drôle, des fleurs et des friandises, et parfois un beau chapeau à plumes. Ils parlent à la première personne, c'est ma voix que je crois entendre, c'est ma voix que je crois émettre : "je suis ..., je sais ... , Je veux..., qui me crient "Ne nous crève pas, nous sommes du même sang !", pustules qui pleurnichent : "Nous sommes ton seul bien, ton seul ornement, continue donc à nous nourrir, il ne t'en coûte pas tellement !". Et ils sont nombreux, et ils sont charmants, ils sont pitoyables, ils sont arrogants, ils font du chantage, ils se coalisent mais ces barbares ne respectent rien -rien de vrai, je veux dire, car devant tout le reste, ils sont tire-bouchonnés de respect. C'est grâce à eux que je fais figure, ce sont eux qui occupent la place et tiennent les clefs de l'armoire aux masques. Ils me disent "Nous t'habillons sans nous, comment te présenterais-tu dans le beau monde ?" -Oh plutôt aller nu comme une larve ! Pour combattre ces armées, je n'ai qu'une toute petite épée, à peine visible à l;il nu, coupante comme un rasoir, c'est vrai, et très meurtrière. Mais si petite vraiment, que je la perds à chaque instant. Je ne sais jamais où je l'ai fourrée. Et quand je l'ai retrouvée, alors je la trouve lourde à porter, et difficile à manier, ma meurtrière petite épée. - 15 - Moi, je sais dire à peine quelques mots, et encore ce sont plutôt des vagissements, tandis qu'eux, ils savent même écrire. Il yen a toujours un dans ma bouche, qui guette mes paroles quand je voudrais parler. Il les écoute, garde tout pour lui, et parle à ma place, avec les mêmes mots -mais son immonde accent. Et c'est grâce à lui qu'on me considère, et qu'on me trouve intelligent. (Mais ceux qui savent ne s'y trompent pas: puissè-je entendre ceux qui savent !) Ces fantômes me volent tout. Après cela, ils ont beau jeu de m'apitoyer "Nous te protégeons, nous t'exprimons, nous te faisons valoir. Et tu veux nous assassiner! Mais c'est toi-même que tu déchires, quand tu nous rabroues, quand tu nous tapes méchamment sur notre sensible nez, à nous tes bons amis." Et la sale pitié, avec ses tiédeurs, vient m'affaiblir. Contre vous, fantômes, toute la lumière! Que j'allume la lampe, et vous vous tairez. Que j'ouvre un oeil, et vous disparaîtrez. Car vous êtes du vide sculpté, du néant grimé. Contre vous, la guerre à outrance. Nulle pitié, nulle tolérance. Un seul droit: le droit du plus être. Mais maintenant, c'est une autre chanson. Ils se sentent repérés. Alors, ils font les conciliants. "En effet, c'est toi le maître. Mais qu'est-ce qu'un maître sans serviteurs ? Garde-nous à nos modestes places, nous promettons de t'aider. Tiens, par exemple : figures-toi que tu veuilles écrire un poème. Comment ferais-tu sans nous ?" Oui, rebelles, un jour je vous remettrai à vos places. Je vous courberai sous mon joug, je vous nourrirai de foin, et vous étrillerai chaque matin. Mais tant que vous sucerez mon sang et volerez ma parole, oh! plutôt jamais n'écrire de poèmes ! Voyez la paix qu'on me propose. Fermer les yeux pour ne pas voir le crime. S'agiter du matin au soir pour ne pas voir la mort toujours béante. Se croire victorieux avant d'avoir lutté. Paix de mensonge! S'accommoder de ses lâchetés, puisque tout le monde s'en accommode. Paix de vaincus Un peu de crasse, un peu d'ivrognerie, un peu de blasphème, sous des mots d'esprit, un peu - 16 Z de mascarade, dont on fait vertu, un peu de paresse et de rêverie, et même beaucoup si l'on est artiste, un peu de tout cela, avec, autour, toute une boutique de confiserie de belles paroles, voilà la paix qu'on me propose. Paix de vendus! Et pour sauvegarder cette paix honteuse, on ferait tout, on ferait la guerre à son semblable. Car il existe une vieille et sûre recette pour conserver toujours la paix en soi: c'est d'accuser toujours les autres. Paix de trahison ! Vous savez maintenant que je veux parler de la guerre sainte. Celui qui a déclaré cette guerre en lui, il est en paix avec ses semblables, et, bien qu'il soit tout entier le champ de la plus violente bataille, au-dedans du dedans de lui-même règne une paix plus active que toutes les guerres. Et plus règne la paix au- dedans du dedans, dans le silence et la solitude centrale, plus fait rage la guerre contre le tumulte des mensonges et l'innombrable illusion. Dans ce vaste silence bardé de cris de guerre, caché du dehors par le fuyant mirage du temps, l'éternel vainqueur entend les voix d'autres silences. Seul, ayant dissous l'illusion de n'être pas seul, seul, il n'est plus seul à être seul. Mais je suis séparé de lui par ces armées de fantômes que je dois anéantir. Puissè-je un jour m'installer dans cette citadelle Sur les remparts, que je sois déchiré jusqu'à l'os, pour que le tumulte n'entre pas la chambre royale ! "Mais tuerai-je ?" demande Ardjouna le guerrier. "Paiera-je le tribut à César ?" demande un autre. -tue, est-il répondu, si tu es un tueur. Tu n'as pas le choix. Mais si tes mains se rougissent du sang des ennemis, n'en laisses pas une goutte éclabousser la chambre royale, où attend le vainqueur immobile. - Paie, est-il répondu, mais ne laisse pas César jeter un seul coup d;il sur le trésor royal. Et moi qui n'ai pas d'autre arme, dans le monde de César, que la parole, moi qui n'ai d'autre monnaie, dans le monde de César, que des mots, parlerai-je ? - 17 - Je parlerai pour m'appeler à la guerre sainte. Je parlerai pour dénoncer les traîtres que j'ai nourris. Je parlerai pour que mes paroles fassent honte à mes actions, jusqu'au jour où une paix cuirassée de tonnerre règnera dans la chambre de l'éternel vainqueur. Et parce que j'ai employé le mot de guerre, et que ce mot de guerre n'est plus aujourd'hui un simple bruit que les gens instruits font avec leurs bouches, parce que c'est maintenant un mot sérieux et lourd de sens, on saura que je parle sérieusement et que ce ne sont pas de vains bruits que je fais avec ma bouche. Printemps 1940." C'est en ce sens qu'il faut entendre la parole de l'évangéliste Matthieu (X-34) "N'allez pas croire que je suis venu apporter la paix, mais le glaive"." Les pages de la Bible qu'il utilisait pour en extraire ces citations étaient toutes marquées d'un signet, de sorte que D. m'avait nul besoin de les chercher. Il prépare, à n'en pas douter, le discours qu'il va me tenir. Mais lui parle sans note. La preuve qu'il maîtrise bien son sujet. "L'épée, c'est encore, poursuivit-il, le symbole de Verbe Créateur. Lorsque je te parlerai de kabbale, je m'attarderai longuement sur ce rapprochement entre la Parole -le Souffle -et la Puissance Créatrice. Toujours est-il que dans l'Apocalypse de Jean -le plus mystérieux des textes évangéliques, apparemment, on lit "qu'une épée à deux tranchants sort de la bouche duu Verbe". Ces deux tranchants renvoient également à la dualité mâle / femelle -les deux sexes opposés et complémentaires. L'épée est le yin yang de la chevalerie occidentale. Les croisés, ces chevaliers qui allèrent délivrer le tombeau du Christ à Jérusalem, disaient qu'elle était "un fragment de la Croix de Lumière". A ce propos, je te signale que le Christ n'est pas mort sur une croix (d'ailleurs, est-il bien mort crucifié ?) mais les Romains avaient coutume de suspendre les condamnés sur une barre en forme de T. Le symbole de la Croix est bien antérieur à la venue de Jésus en ce monde. C'est un symbole initiatique que je - 18 - t'enseignerai bientôt. La Croix de Lumière n'est rien d'autre qu'une des manifestations de la divinité. En résumé, l'épée est une parole flamboyante de vérité et de justice. Elle est l'arme avec laquelle la Divinité fouille l'inconscient de l'Adepte des Sciences de la Réalité. Elle chasse les tentations pernicieuses en même temps qu'elle montre le chemin. Elle peut donc éblouir le néophyte, et cet aveuglement pourrait être, pour son âme, aussi terrible que la contemplation du Soleil pour les yeux d'un humain. On ne regarde pas Dieu en face impunément. On n'utilise l'épée qu'à bon escient. Elle reste donc, le plus souvent, au fourreau. Celui-ci est noir la couleur de la nescience ou, si tu préfères un mot moins savant, de l'ignorance -car c'est bien connu, comme en électricité, les contraires s'annulent et se neutralisent. Il te faudra te coucher tôt lundi soir, et faire un effort pour te lever mardi matin. Car tu viendras ici à quatre heures. Nous aurons quelques préparatifs à faire, avant la cérémonie qui s'effectue au lever du soleil. Non! Ne t'inquiètes pas pour tes parents -me prévient-il -tout est arrangé". Hélas! Nous sommes lundi soir. Il est onze heures du soir -et le sommeil me fuit. - 19 - Mardi 28 juin 1966 Finalement, je n'ai pas du tout dormi dans la nuit de lundi à mardi, et c'est dans un certain état d'exaltation que je me suis présenté chez D., au moment même où le clocher du village sonnait les quatre coups. Mon maître s'en est tout de suite aperçu: "Tu es aussi excité, me dit-il en riant, qu'une jeune fille qui se rend à son premier bal !" J'en convins bien volontiers, aussi me fit-il pratiquer auparavant quelques exercices respiratoires -durant une dizaine de minutes afin de me calmer. Je fus ensuite invité à prendre une douche pendant que D., selon ses dires, "se préparait". Sortant de la salle de bains, et le voyant dans sa tenue cérémonielle, je dus me retenir pour ne pas pouffer de rire. D. était vêtu d'une ample robe de soie naturelle, serrée à la taille par une cordelette à n(uds. Son front était ceint d'une bandelette de lin blanche. Cette bandelette s'ornait de la représentation suivante -en lettres d'or : (A l'issue de la cérémonie, D. m'expliqua qu'il s'agissait de lettres de l'alphabet hébreu: de droite à gauche -puisque c'est ainsi que s'écrit cette langue: iod -hé -vau -hé. L'assemblage de ces quatre lettres, me dit-il, a donné dans le langage courant le mot Jéhovah. D. m'a précisé également qu'on appelait ce mot le tétragramme, et qu'il m'en parlerait longuement lorsque nous étudierons la kabbale) . Voyant mon expression amusée, D. me dit en souriant "Il y en a une aussi pour toi". Et d'un placard, il sortit une robe à ma taille, en tous points semblable à la sienne. "Ce sont des vêtements en soie naturelle, me dit-il. Ils constituent une protection. Mets celle-ci. Tu peux garder dessous tes sous-vêtements". Ainsi équipés, nous nous sommes rendus, dans le petit matin (heureusement il n'y avait personne pour nous voir) vers une bâtisse se trouvant sur le terrain de D. (un ancien pigeonnier, - 1 - je crois) qu'il fit retaper en même temps que fut bâtie sa maison ; D. m'avait prié de prendre mon carnet de notes (puisque aussi bien, il n'était nullement question d'emporter le magnétophone) . Il m'avait auparavant prévenu, cependant, qu'il avait préalablement préparé un compte rendu complet de la cérémonie, auquel je n'aurai plus qu'à me référer, pour rédiger ce rapport. D. ouvrit la porte d'entrée avec une clef. Elle donne sur un couloir se terminant par un escalier qui, selon toute évidence, mène aux étages supérieurs (il yen a peut-être deux) .De chaque côté de ce couloir, quatre portes se font face deux par deux. "Nous sommes ici, me dit-il, dans le lieu que je réserve à mes diverses opérations. C'est mon temple -la forme circulaire du pigeonnier correspond parfaitement à l'étymologie de ce mot. Temple vient d'un mot étrusque (leur civilisation précéda Rome) , templum, qui veut dire à l'origine, cercle. Maintenant, déchausses-toi". Et après qu'il en eût fait de même, D. ouvrit la première porte à main droite. Nous pénétrâmes alors dans une pièce circulaire aux vastes dimensions. Le diamètre en est au moins de 10 m, la hauteur du sol au plafond de 3 m, et les murs, ainsi que le sol, sont en pierres. Au fond de la pièce, il y a une cheminée avec un vaste foyer ouvert. Quelques meurtrières permettent aux rayons du soleil levant d'y pénétrer. Des volets intérieurs coulissants, en bois, permettent de les obturer totalement. Au centre de ce "temple", un cercle d'environ 5 m de diamètre est tracé à même le sol. De grands chandeliers supportent d'imposants cierges d'église. Il n'y a pas de lumière électrique dans cette pièce. Ce sont ces cierges qui nous ont éclairés après que D. eût fermé tous les volets. Contre le mur se tient une imposante armoire de bois. "Je vais d'abord, me dit-il, te décrire tout ce qui se trouve dans cette pièce. Cette armoire contient mes instruments. Au centre du cercle se trouve, comme tu le vois, un autel de pierre de 1,80 m de longueur, 0,50 m de largeur, et d'une hauteur de 1,40 m afin que l'on puisse facilement opérer dessus lorsqu'on se tient debout. Ce sont les bonnes dimensions pour un autel. J'ai eu la chance de - 2 - pouvoir trouver ces pierres qui conviennent parfaitement, mais l'autel peut être aussi une table en bois, à condition qu'elle soit entièrement chevillée, c'est à dire que n'entre dans sa composition aucun objet métallique. La table d'autel est disposée de telle manière qu'en se tenant derrière l'une de ses longueurs, l'opérateur se trouve face à l'Orient ou face à l'Occident. En dehors du cercle, j'ai mis une chaise en bois où tu te tiendras durant la durée de l'opération. Enfin, à côté de l'autel, et de telle sorte que tout à l'heure, je me tienne dos tourné à l'orient (donc face à l'occident) , à la gauche de la place que j'occuperai, j'ai placé un lutrin où je poserai tout à l'heure mon livre personnel où j'ai consigné tous les textes de mes rituels. Je vais maintenant disposer, un à un, sur la pierre d'autel, tous les objets et ingrédients qui me seront utiles pour cette cérémonie de consécration, en t'en expliquant à chaque fois sommairement-car nous y reviendrons lorsque nous consacrerons tes propres objets -leur symbolisme". D. se dirigea alors vers l'armoire qu'il ouvrit. Il en sortit deux chandeliers en bois, qu'il plaça sur la table, puis une bougie noire et une bougie blanche. "Ces bougies ne sont pas achetées dans le commerce, me dit-il. Elles sont en cire d'abeille et je les confectionne et les colore moi-même. La mèche en est faite avec du fil de lin, mais on peut également utiliser du chanvre ou du coton. Le cierge noir sera placé à ma gauche, le cierge blanc à ma droite. La bougie noire est ici utilisée dans son aspect positif, qui rappelle que c'est des ténèbres que jaillit la lumière. En quelque sorte, cette bougie noire rappelle la création. La bougie blanche, au. contraire, symbolise la sincérité de la demande. certains opérateurs utilisent pour cette opération de consécration de l'épée deux bougies vertes; personnellement, je pense que cette couleur est trop "intellectuelle" pour une opération générale de consécration, le vert étant avant toutes choses la couleur de la connaissance". Il posa ensuite sur la table un encensoir de table ("ça s'appelle un brûle-parfums" me précisa-t-il en cuivre, un sachet contenant du charbon de bois, et une autre sachet contenant de l'encens d'oliban en larmes. - 3 - "Tout à l'heure, me dit-il, j'allumerai ce charbon de bois, qui fera des braises. Je verserai alors dessus de cet encens que j'ai acheté dans le commerce. La fumée qui s'échappera du brûle- parfums est censée accompagner notre "prière" jusqu'aux cieux. certains occultistes aiment décorer les objets dont ils se servent avec diverses représentations ou pantacles. Pour ma part, je m'en abstiens, sauf si c'est absolument nécessaire. Tu constateras que ces objets sont vierges de toute parure". Enfin il sortit de l'armoire un vase en cristal et un flacon contenant un liquide. "Dans ce flacon, me dit-il, se trouve de l'eau lustrale. C'est une eau de rosée que je recueille sur ma pelouse, en tendant un drap de coton, au petit matin après chaque nouvelle lune. Cette eau est ensuite filtrée pour être débarrassée de ses impuretés. Je l'exorcise et je la consacre, puis j'y ajoute du sel gemme, lui aussi exorcisé et consacré. Je t'enseignerai prochainement ces rituels d'exorcisme et de consécration. Ensuite je mets dedans une pincée d'encens d'oliban, et j'éteints dedans un charbon de bois porté au rouge. Le sel symbolise la terre dont il est extrait; l'encens, destiné aux fulmigations, l'air; le charbon porté au rouge, le feu. Dans ce flacon, nous avons donc un composé symbolique des quatre éléments eau, terre, air, feu. Cette eau ne peut être utilisée que dans le temps de la lunaison où elle a été recueillie. Après chaque nouvelle lune, il faut en préparer d'autre en vue de nouvelles opérations. Mais s'il en reste de la précédente lunaison, comme elle a été exorcisée et consacrée, on ne doit pas la jeter sans précaution. soit on doit prononcer dessus trois fois une formule d'exécration, que je t'ai recopiée afin que tu la notes sur ton cahier - pour lui rendre son caractère profane (et alors on peut la jeter) , soit on la met dans un récipient ouvert et on la laisse s'évaporer. Pour ma part, ne voulant pas prendre le risque que le sacré puisse être souillé, je pratique toujours l'exécration. Formule d'exécration (à répéter 3 fois) . "ADJUTORIUM NOSTRUM IN DOMINE DEMIURGI QUI FECIT CAELUM ET TERRAM . - 4 - EXECRO TE AQUA, REDUCO TE AD PRIMAM MATERIAM TUAM, EFFERA TE AD TERRAM, OSTENDO TE AD MUNDUM PROFANATUM. AMEN" . D. sortit alors, toujours de l'armoire, un sac de sable et une bouteille de vin. Il répandit un peu de sable par terre et en frotta longuement la lame de l'épée. Puis, avec un chiffon préalablement imbibé de vin, il essuya cette lame, qui prit des reflets bleutés. "Cette opération, me dit-il, n'est pas obligatoire, si un jour tu forges toi-même ton épée. Celle-ci ayant été achetée dans le commerce, elle est destinée à purifier la lame avant la consécration. Autrefois, la pratique était souvent plus barbare on la passait à travers le corps d'une victime, ce qui s'appelait "tremper l'épée". Puis, avec un petit burin et un marteau, D. grava sur chacune des deux faces de l'épée une étoile à six branches, suivie d'un tétragramme en tous points semblable à celui qu'il portait sur le front. Enfin, il disposa sur le lutrin un livre fermé par une boucle dorée, identique à celui que j'avais vu sur sa table de travail, trois jours auparavant. "Durant toute la cérémonie, me dit-il, je me tiendrai debout, le dos tourné à l'Orient -donc à l'Est. J'aurai donc devant moi l'Occident, l'Ouest, sur ma droite le Nord, et sur ma gauche, le Sud. La raison en est que je veux appeler, au cours de telles cérémonies, le maximum de forces telluriques. Or, la terre tournant d'Occident en Orient - d'Ouest en Est, le sens naturel de circulation de ces forces est semblable au sens giratoire terrestre. Ainsi, je fais face à l'Ouest, c'est à dire face aux forces qui vont arriver. Mes talons seront joints en équerre. Mon pied gauche sera dirigé vers le sud, mon pied droit vers l'Ouest. J'opèrerai, quoique je sois droitier -principalement de la main gauche. Ainsi campé, mes gestes, naturellement, respecteront également ce mouvement d'Ouest en Est, et mon corps tout entier ne fera qu'un avec le mouvement de la planète sur laquelle nous résidons présentement. Durant toute la cérémonie, tu te tiendras assis sur cette chaise de bois. Tu pourras prendre des notes, mais tu devras te tenir - 5 - parfaitement silencieux. Il est inutile que tu recopies pour l'instant les incantations; notes en seulement le début et la fin, pour pouvoir te retrouver dans les notes que je t'ai préparées. Par contre, efforces-toi de traduire avec précision chacun de mes gestes. Assieds-toi donc sur cette chaise. Après que ce fut fait, D. prit, dans son armoire, une corde de chanvre qu'il enroula autour de la chaise. "Cette corde figure un cercle. Sous aucun prétexte, et quoiqu'il puisse se passer, tu n'en dois pas sortir avant que je ne t'en ai donné l'ordre. Et maintenant silence, nous commençons." D. rentra dans le cercle, le dos à l'Orient, les pieds en équerre, comme il me l'avait indiqué. Il posa au centre de l'autel mon épée. Les volets de bois avaient été auparavant tirés et la seule lumière de la pièce provenait des cierges d'église. Il mit ensuite un genou en terre, étendit ses bras, paumes tournées vers le ciel et, d'une voix forte, récita en latin le psaume n° 2. "QUARE FREMUERUNT GENTES, ET POPULI MEDITATI SUNT INANIA ? ASTITERUNT REGES TERRAE ET PRINCIPES CONVENERUNT IN UNUM ADVERSUS DOMINUM ET ADVERSUS CHRISTUM EJUS. DIRUMPAMUS VINCULA CORUM, ET PROJICIAMUS A NOBIS JUGUM IPSORUM. QUI HABITAT IN CAELIS, IRRIDEBIT EOS ET DOMINUS SUBSANNABIT EOS. EGO AUTEM CONSTITUTUS SUM REX AB EO SUPER SION MONTEM SANCTUM EJUS, PRAEDICANS PRAECEPTUM EJUS. DOMINUS DIXIT AD ME: FILIUS MEUS ES TU, EGO HODIE GENUI TE. POSTULA A ME, ET DABO TIBI GENTES HEREDITATEM TUAM, ET POSSESSIONEM TUAM TERMINOS TERRAE. REGES EOS IN VIRGA FERREA ET TAMQUAM VAS FIGULI CONFRINGES EOS. ET NUNC, REGES, INTELLEGITE : ERUDIMINI QUI JUDICATIS TERRAM. SERVITE DOMINO IN TIMORE, ET EXSULTATE El CUM TREMORE. APPREHENDITE DISCIPLINAM, NEQUANDO IRASCATUR DOMINUS, ET PEREATIS DE VIA JUSTA. CUM EXARSERIT IN BREVI IRA EJUS, BEATI OMNES QUI CONFIDUNT IN EO. GLORIA PATRI." Sur les documents qu'il m'a remis, D. a précisé que ce psaume servait à "purifier, voire consacrer" la pièce dans laquelle nous nous trouvons avant la cérémonie proprement dite. - 6 - Or je suis allé voir dans le missel vespéral romain que l'on m'a offert pour ma première communion (le Dom Gaspar Lefebvre) .Ce psaume se récite lors des matines de Noël (premier nocturne) .En voici la traduction : "pourquoi les nations frémissent-elles, pourquoi les peuples méditent-ils de vains complots ? Les rois de la terre se concertent, les princes se liguent ensemble contre le Seigneur et son oint. Brisons leurs chaînes, envoyons au loin leurs entraves. Celui qui trône dans les cieux sourit; le seigneur les tourne en dérision. Alors en sa colère il leur parlera, dans sa fureur il les terrifiera. C'est moi qui ai sacré mon roi sur Sion, ma sainte Montagne. Je vais publier le décret du Seigneur. Il m'a dit tu es mon Fils c'est moi qui t'engendre aujourd'hui. Demande, et je te donnerai les nations pour héritage, pour domaine les extrémités du monde. Tu les briseras avec une verge de fer, comme vases de potier tu les fracasseras. Comprenez donc, ô rois; instruisez vous, juges de la terre. Servez le seigneur avec crainte, tressaillez de joie en tremblant. Baisez-lui les pieds, de peur qu'il ne s'irrite, et que vous ne périssiez. Car sa colère, sous peu, va s'enflammer. Heureux qui se confie en lui ! Gloire au père". J'ai beau lire et relire ce texte, qui est sous-titré dans mon missel "Annonce du Messie, roi victorieux de toute la terre", je ne vois rien dans sa traduction qui justifie qu'il puisse servir à consacrer ou à purifier un lieu. C'est plutôt un texte assez dur, qui fait apparaître un Dieu vengeur et terrifiant, tel qu'on en trouve d'innombrables dans la Bible. D'autre part, D. est juif; non seulement il ne s'en est jamais caché, mais du temps où je suivais des cours de mathématiques chez lui, il m'avait appris qu'il se rendait de temps à autres à - 7 - la synagogue du chef-lieu voisin. Le texte est en latin (comme avant le concile), prononcé dans une messe de minuit pour la naissance d'un sauveur que les juifs ne reconnaissent pas. Et tout cela, pour une opération magique ! Je m'y perds. D. baisa l'autel à la fin de son oraison, puis se releva. Il alluma les deux bougies, en commençant par celle de gauche, (la noire) , puis il embrasa quelques charbons de bois, les déposa dans le brûle-parfums, et versa dessus de l'encens. Lorsque la fumée commença à s'élever, il prit l'épée dans ses deux mains, horizontalement, l'éleva, la passa dans la fumée de l'encens, l'éleva de nouveau, et récita : "CONSECRO TE, SPATHA, AD DEMIURGUM CONSECRO TE ( ici, se trouve prononcé le prénom de l'Adepte que nous ne reproduisons pas par souci de discrétion note de l'éditeur) AD MAGIAM, CONSECRO TE UTILITATEM MEAM SOLUM -AMEN". Il abaissa l'épée et souffla dessus. Trois fois, il répéta ce rituel (élévation/récitation/souffle). Puis, il prit l'épée par la poignée, pointe en haut, il appliqua sur son front la lame, et sembla rentrer dans une profonde méditation (je dirais plus loin mes impressions sur cette cérémonie, mais je dois dire que durant le temps de cette méditation, j'ai moi-même retrouvé une qualité -je ne vois pas d'autre mot -de bien-être semblable à celle ressentie quelques jours plus tôt sur le banc de pierre. D. était parfaitement immobile, mais je crois bien qu'il souriait. J'ai vu son sourire, et cela m'a fasciné. Je n'ai jamais vu un tel sourire, une telle expression, sur un visage. A mon tour, je me suis senti envahi par le calme -le bonheur. J'ai oublié toute la fatigue de ma nuit blanche. Le chant des oiseaux qui peuplent les arbres alentour nous parvenait. C'est indescriptible. Je n'ai jamais été aussi imprégné du chant des oiseaux. A un moment, j'ai même cru - folle pensée -que je comprenais ce qu'ils étaient en train de se dire. Leurs modulations, leurs discours harmonieux J'aimerais me relever chaque matin à l'aube pour entendre cela) . Sa méditation terminée, D. passa par sept fois la lame de l'épée dans la fumée (il remplissait continuellement le brûle-parfums de charbon de bois et d'encens) en prononçant: "ADONAI SANCTISSIME - 8 - ET POTENS, IOD, HE, VAV, HE, FORTISSIME, SADDAI POTENTISSIME, ADESTATE, ET CONSACRE TE VIRGULAM ISTAM QUEM ADMODUM CONVENIT PER SANCTISSIME ADONAI EJUS REGNI NON ERIT FINIS PER OMNIA SECULA SAECULARUM. AMEN" . Ensuite il plongea ses doigts dans le flacon d'eau lustrale, et par trois fois, il fit un signe de croix (un signe chrétien, encore) sur l'épée. Il éteignit les deux bougies (la noire et la blanche) de sa main. Il versa sur les braises du brûle-parfums un peu d'eau lustrale, rangea précautionneusement chacun des ustensiles dans l'armoire, y compris l'épée, qu'il enveloppa dans un morceau de soie rouge, défit le cercle qui m'enfermait, ouvrit les volets et les meurtrières, et prévint, par ces paroles, mes questions. "Nous allons de nouveau prendre chacun une douche. Mais nous nous abstiendrons de nous parler. Pas aujourd'hui. Il faut savoir apprécier la qualité du silence." Pas de question aujourd'hui, certes. Mais j'en ai beaucoup en attente. Je reconnais que j'ai vécu un moment extraordinaire durant tout le temps où D. se concentrait sur mon épée, et que, bien que je n'ai pas dormi de la nuit, j'ai été aujourd'hui en parfaite forme. Mais je confesse que j 'attendais mieux de ma première "cérémonie magique". Après tout, ce n'est rien d'autre qu'un petit morceau de messe. - 9 - Samedi 2 juillet 1966 En arrivant chez D. ce matin, j'ai eu un choc. Après m'avoir fait rentrer dans son bureau, il me pria de l'excuser quelques minutes, car la sonnerie du téléphone se mit à retentir après que nous ayons échangé les civilités d'usage. Resté seul dans la pièce, je perçus des bruits étranges; je m'approchai de l'endroit d'où ils provenaient, une forme rectangulaire recouverte d'un tissu noir posée sur l'un des rayonnages de la bibliothèque. En soulevant un coin du voile, je m'aperçus q'ils s'agissait d'une cage. Poussé par la curiosité, je soulevai encore plus le tissu... et reculai en poussant un grand cri: une forme grise et agressive venait de se jeter en couinant sur les barreaux. D., qui était rentré sans doute quelques secondes auparavant, éclata de rire" "Tu as peur des rats ? me dit-il. C'est un rat ? Mais pourquoi gardez-vous cet animal répugnant chez vous ? Cet animal te répugne, et je peux le comprendre. Mais gardes toi bien de dire qu'il est répugnant. L'opinion que tu as de lui l'opinion en général est une liberté accordée à chaque humain, à condition qu'il se souvienne que ce n'est qu'une opinion, et rien d'autre. Ce rat n'est pas répugnant... il te parait tel, et c'est tout. Mais pourquoi le garder chez vous ? Parce que je l'ai trouvé blessé dans la cave dimanche. Sa patte arrière droite était cassée, mais surtout, il était quasi aveugle, les paupières obstruées par un liquide gluant. Ce n'est pas sans mal que j'ai pu l'attraper, car les rats sont des animaux courageux et intelligents. Alors je le soigne. Mais qu'allez-vous donc en faire ? (En posant cette question, j'imaginai que peut-être il réservait l'animal à quelque sacrifice sanglant pour une cérémonie spéciale) . Eh bien, le relâcher lorsqu'il sera guéri. Je n'ai pas pour vocation de conserver des animaux en cage. -Mais c'est un nuisible ! - 1 - -Nuisible ? Pour qui ? Nuisible certes lorsque sa population devient excédentaire. Mais autrement ? Ce n'est rien d'autre qu'un rongeur qui crée parfois quelques dégâts, mais rend aussi bien des services. Saches-le, il n'est pas un atome de cette création qui n'ait sa raison d'être. En l'occurrence, ce rat ne menace pas mon existence (sauf celle de mes livres c'est pourquoi le l'ai mis dans une cage, quoique j'y répugne, durant sa convalescence) il était seul et blessé lorsque je l'ai trouvé. J'aurais pu l'achever, tuer une vie. Pourquoi ? Ce rat a sa fonction dans le cours du monde. Et puis je sais ce que c'est lorsque des hommes traitent d'autres hommes de "rats", et veulent les exterminer. C'est généralement la peur, ou un complexe d'infériorité, qui les fait agir ainsi. Les bourreaux sont plus à plaindre que les victimes. Mais moi, je n'ai pas peur de cette bête. J'ai ma place dans cet univers, il a la sienne. Je ne cherche pas à l'apprivoiser, ni à en faire un animal de cirque. Mais depuis dimanche que je l'ai trouvé, que je viens le soigner trois fois par jour, que je lui parle doucement, nos rapports ont changé; les siens surtout, vis à vis de moi. Je crois qu'il a compris que je ne lui voulais pas de mal. Il ne cherche plus à me mordre." Et pour me prouver ses dires, il enleva complètement le tissu noir, ouvrit la cage, dit dans une langue que je ne compris pas quelques mots à l'animal qui dressait ses courtes oreilles et, pour finir, flatta le dos de la bête qui se laissa faire, semblant même en éprouver un certain plaisir. "Mais ça ne vous dégoûte pas de le toucher, lui demandai-je, après qu'il soit revenu s'asseoir derrière son bureau ? -Bien sûr que ça devrait me dégoûter, me rétorqua-t-il. J'ai à très peu de choses près le même inconscient collectif que le tien. Et chacune des parcelles éternelles -ou presque -qui constituent mon corps physique se souvient qu'à l'aube de l'humanité, nous avons bataillé ferme, les humains et les rongeurs, pour nous disputer la préséance de la planète. Les guerres que nous nous sommes livrées étaient sans pitié. Mes cellules se souviennent des dents de ses ancêtres qui attaquent ma chair. Je vais te le dire comme je le pense hormis les insectes, il n'y a que les rats qui possèdent une faculté - 2 - d'adaptation supérieure à celle de l'homme. Voilà la raison de notre dégoût: c'est notre peur ancestrale de cette supériorité. En plus, son rythme est l'inverse du nôtre; c'est surtout un animal nocturne. Nous avons toujours été effrayés par les créatures de la nuit. La mythologie -et aussi la réalité -ont conforté notre défiance: le rat propage la peste, détruit les moissons, c'est un fait. Mais nous aussi, nous propageons les maladies que nous contractons, et nous aussi, nous détruisons. En venant ici, je suis certain que tu as posé tes gros sabots sur au moins une fourmilière, et saccager d'un geste inconscient le labeur incessant de toute une colonie. Le dégoût est réel; comme l'imaginaire, il ne faut pas le nier avec de belles paroles ou des déclaration d'intention ; les mots n'arrêtent pas un fleuve en cru. Il faut connaître son dégoût, l'admettre et l'analyser. -pourquoi ? -pourquoi ? Eh bien, dans le but d'obtenir une parfaite maîtrise de soi. Mais si ce rat te dégoûte tellement, tiens, prends mon coupe-papier, et tues-le. Je n'y vois pas d'objection. Il avança vers moi le petit poignard effilé dont il se sert pour couper les pages de ses livres. Sous la cape noire qui recouvrait la cage, le rat se mit à couiner. Je repoussai l'arme. "Je ne veux pas le tuer. Je n'aimerais pas le toucher, c'est tout. Mais vous avez raison! J'ai peur des rats. Il faudra décidément que tu lises Freud avant que tes enseignants t'y obligent. Il a écrit un texte intéressant là dessus qui s'intitule "l'Homme aux Rats". Mais passons. Nous avons autre chose à faire aujourd'hui que de parler de psychanalyse." Comme d'habitude, il se plongea dans la lecture de mon cahier, tout en prenant des notes. C'est alors que je remarquai que le magnétophone - contrairement aux fois précédentes où il ne le mettait en marche qu'au début des commentaires de lecture tournait déjà. Alors, le coup du rat ? Un évènement prévu par D. ? Une mise en scène ? De la prescience de sa part ? C'est comme pour l"Homme aux rats". C'est extrait de "cinq psychanalyses". Mon père qui s'intéresse beaucoup à cette science (il n'arrête pas de dire à ma mère "tu devrais te faire - 3 - psychanalyser") a des tas de bouquins de Freud dans sa bibliothèque. Dimanche soir, j'en ai pris un; c'était "cinq psychanalyses". Et qu'est-ce que j'ai lu ? "L'Homme aux rats". Que dit D. ? Qu'il a attrapé ce rat dimanche. Les coïncidences s'accumulent. Il yen a trop. J'ai l'impression agréable que certains évènements de ma vie deviennent cohérents, et désagréable d'être le jouet d'une machination. Tantôt, la balance penche d'un côté, tantôt de l'autre. Sa lecture terminée, D. referma mon cahier, jeta un coup d;il à ses notes et, visiblement satisfait, s'exclama : "Bien. Que voilà une riche moisson. Tu soulèves dans tes dernières narrations bien des points importants et je vais m'efforcer d'y répondre. Mais auparavant " Il sortit de son porte-lettres une enveloppe blanche fermée qu'il déposa devant moi sur le bureau. "Qu'est-ce donc ?, demandai-je. -C'est pour toi, ouvres." Je pris l'enveloppe (elle était lourde) et l'ouvris avec le coupe-papier. Il y avait dedans vingt pièces de cinq nouveaux francs. "Tu m'as donné l'autre jour toute ta fortune pour payer tes objets cérémoniels. Je l'ai prise bien volontiers. Mais j'ai également pensé que tu te trouverais fort démuni. Notes que je ne te rends pas l'argent que tu m'as donné. Je te prête cent francs -que tu me rendras quand tu le pourras -pour ton viatique." Confus, je le remerciai et empochai l'argent. Voilà encore un autre exemple de ce qui ne cesse de me troubler chez D. J'ai écrit dans ce cahier qu'après lui avoir donné mes trente francs d'argent de poche, j'étais devenu raide comme un passe-lacets. D. a lu cette réflexion. Mais l'enveloppe était, j'en suis sûr, prête et close avant qu'il n'entame cette lecture. D. lit en moi comme dans un livre ouvert, sans même que j'ai besoin de parler. "Tu as ressenti par deux fois une sensation de détachement, de plénitude, dis-tu. C'est un avant goût de ce que tu éprouveras de - 4 - plus en plus souvent dorénavant une prise de conscience de l'instant présent. Mais je ne suis pas tout à fait d'accord avec le mot détachement. C'est même à mon avis tout à fait le contraire qui se passe. Tu n'es jamais aussi présent, aussi attentif à la réalité que dans ces moments-là. Dans le cours quotidien de sa vie, l'homme vit avec ses souvenirs son passé -et se projette en intention vers le futur. Il s'arrête rarement pour être simplement là. Sa machine à fabriquer des pensées s'arrête rarement de fonctionner. Et ces pensées vont s'interposer entre l'homme et sa perception de la réalité. Or 90 % de notre agitation mentale est inutile. L'esprit s'emballe et fonctionne tout seul, tiraillé entre le souvenir et la projection dans le futur. Parvenir à faire taire le mental babillard et agité est extrêmement difficile. Il faut de longs exercices avant que d'y arriver. Mais alors, le filtre disparaît. Nos préoccupations futiles s'évanouissent, et ce qui s'offre à notre esprit ouvert sur le monde extérieur, c'est la réalité telle qu'en elle-même. Débarrassée de ses occupations sans intérêt, notre conscience s'accorde avec l'essentiel. C'est un peu comme lorsque tu regardes la photographie d'un lieu que tu vois quotidiennement prise sous un angle inhabituel. Des détails que tu n'avais jusqu'alors jamais observés t'apparaissent, et l'ensemble se révèle être différent de ton souvenir pourtant récent. C'est qu'à force de fréquenter ce lieu, en étant agité de pensées, tu as fini par ne plus le voir. La photographie est objective. Elle te restitue le lieu dans son essence. Ce calme intérieur que tu as éprouvé par deux fois fugitivement, cette sensation de goûter le présent et rien que le présent, de se baigner dans sa réalité, est l'état auquel on doit parvenir si on veut pratiquer une méditation correcte, ou un exercice de monoïdéisme. Il s'accompagne toujours d'un sentiment de sérénité, de bonheur ineffable. Aristote disait que le bonheur est le produit de la raison contemplant la vérité. Je crois que c'est beaucoup plus simple que cela. Le bonheur est le produit de l'être débarrassé des scories de la pensée, plongé ici et - 5 - maintenant dans l'Océan du Réel. Le bonheur est un état quasi foetal. Bien entendu on ne peut vivre ainsi de manière permanente, car on perdrait toute sensation de la durée, et tout goût pour l'action. Mais il est important de savoir se mettre à volonté dans cet état, et de savoir en sortir de même. On a beau essayer d'apprendre dans des livres, puis répéter autant de formules incantatoires que l'on veut; cela ne servira à rien si on ne s'est pas, au préalable, imprégné du réel, afin que notre volition, à un moment précis, s'exprime avec toute l'intensité nécessaire. Méditer, puis brutalement projeter hors de soi l'image simple d'une idée unique constitue un phénomène de rupture qui est l'unique secret de toute la maîtrise des Sciences de la Réalité. Le reste le décorum, les objets, les incantations, est secondaire. Ce sont des outils mis à la disposition du pratiquant; jamais une fin en soi. Je suis content de ce qui t'est arrivé. Cela prouve que tes exercices respiratoires commencent à porter leurs fruits. Car, n'en doute pas, ce qui s'est déclenché par deux fois sans que tu le veuilles n'est rien d'autre que la résultante d'une meilleure oxygénation de ton corps tout entier, et de tes efforts, même imparfaits de méditer. Ces exercices se passent-ils bien ? Ressens-tu quelque fatigue en les pratiquant ? De la fatigue, non. Mais un sentiment d'ivresse, certainement. Et puis, j'ai vraiment à chaque fois beaucoup de mal à me concentrer. Je suis distrait par un rien, inattentif. Je t'enseignerai tout à l'heure quelques exercices pour pallier cela. Tu dis par ailleurs que ma vie semble être réglée sur un rythme immuable, et qu'avec moi, les habitudes se prennent vite. Je n'avais jamais réfléchi à cela, mais je dois avouer que ce n'est pas faux. En fait, si tu observes bien la nature, tu découvriras que tout est rythme. Le cycle diurne, le cours des saisons, la naissance, la reproduction et la mort, tout se déroule suivant une périodicité à laquelle chaque parcelle de la création se trouve être soumise. Il est donc normal que m'efforçant d'être le plus possible en phase avec la création, je donne moi aussi l'impression d'obéir à - 6 - des habitudes qui ne sont rien d'autre que la mise en actes du retour cyclique. La plupart des rituels ne sont rien d'autre qu'un ensemble de règles, et ces règles prescrivent des rythmes précis pour les différentes actions à accomplir. La géométrie s'est développée aux Indes dans le cadre du rituel. La notion occidentale de règle s'origine dans la mathématique et la logique. Un rituel est une correspondance termes à termes avec les sciences de la nature. Cependant l'acte "magique" va plus loin que la simple observation de règles et de rythmes, qui ne sont eux aussi que des outils. Si, des outils, on fait une fin en soi, alors on sombre inéluctablement dans l'idolâtrie et la superstition. Le rituel doit amener l'officiant à un état particulier - cette fusion avec le Présent que nous évoquions tout à l'heure. Le néo-platonicien Jamblique, qui vécut au IIIe siècle de notre ère, assignait comme but à la théurgie c'est à dire à l'ensemble des pratiques rituelles - l'union mystique progressive avec le divin. Mon équipement, l'autre jour, ma robe et ce bandeau enserrant ma tête, ont failli, écris-tu, te faire pouffer de rire. Et pourtant, il faudra bien que tu t'y habitues car ce sont des vêtements rituels que l'on doit porter à chaque cérémonie. Comme les objets, ces parures ne servent que dans les rites. Elles sont sacrées. L'espace du sacré est un espace précis, avec des règles précises, qui s'oppose au profane, qui se trouve être, lui, diffus dans le monde. Sacré vient du latin sancire, qui signifie tout à la fois délimiter, entourer, sacraliser, sanctifier. Profane vient de pro-fanum, et indique ce qui se trouve devant cette enceinte réservée au sacré. Le domaine du sacré est donc un espace réservé, réglé par une observation stricte des rites et des rythmes, alors que le profane est le lieu où la liberté de l'homme peut s'exprimer à loisir. Bien entendu, de même qu'on ne peut s'abîmer dans l'état méditatif sous peine de perdre toute notion du temps et de l'action, on ne peut pas non plus se tenir continuellement dans l'espace du sacré, dont les préceptes contraignants finiraient par paralyser totalement la vie. Il y a un temps pour méditer et un temps pour agir, un temps pour élever son "âme" vers la "Divinité" et un temps pour se préoccuper des contingences de - 7 - l'existence. Comme la méditation, le sacré isole l'individu qui s'y adonne du reste de la société, et la tenue si différente de celle que j'ai coutume de porter n'était en fait que la marque extérieure de cet isolement. Ce qui t'a donné envie de rire, c'est tout simplement la perception de la différence entre le quotidien, le profane auquel tu es habitué, et le sacré, un monde que tu ne connais pas et dans lequel tu pénètres lentement. Les raisons du rire sont multiples: le philosophe Bergson y a consacré un livre entier. L'une d'elles est la vue d'un spectacle inhabituel. si j'ai choisi pour la consécration de l'épée des rituels employant des textes en latin, c'est qu'il s'agissait de consacrer ton épée. Je me suis donc moulé, si on peut dire, dans ta tradition. Quant au sens des textes dans un rite, il n'a absolument aucune importance. Ce qui importe dans un texte rituel, ce sont ses phonèmes, et son rattachement à un égrégore puissant. Je vois que tu fronces les sourcils, car je viens d'employer deux mots dont le sens t'échappe sans doute. Un phonème, c'est un élément du langage considéré du seul point de vue phonétique -c'est à dire du point de vue du son qu'il produit. Ce n'est donc qu'un outil, là encore. Mais ces sons sont destinés à frapper l'inconscient, et par la même à mettre l'opérateur dans un état désiré. Le phonème le plus connu -et sans doute le plus puissant -est le phonème AUM, qui nous vient de la tradition indienne. C'est un mot intraduisible, et son sens importe peu. Pourtant, beaucoup d'indiens qui veulent parvenir à l'illumination le répètent inlassablement. Ils disent que c'est le son primordial, qu'il contient en lui-même une énergie formidable qui facilite la transformation spirituelle. D'ailleurs, dans la pensée indoue, le son n'est pas simplement une représentation du divin: il est le divin lui-même. En exprimant, disent-ils, le son AUM, on se divinise soi-même. Il ya chez ce peuple une véritable théologie du son. Le mot Amen, qui est un mot hébraïque adopté par la liturgie chrétienne, est un proche parent du son AUM. Selon certains psychologues, il existe des phonèmes qui auraient pour objet de - 8 - réveiller certaines pulsions archétypales, enfouies dans notre inconscient collectif et dans notre cerveau reptilien. certains auteurs prétendent aussi qu'il y a une adéquation entre le chant grégorien que l'on employait dans les églises catholiques avant le dernier concile et la conception architecturale des cathédrales gothiques. Selon eux, en certains points précis de ces cathédrales, le fait d'écouter un chant grégorien plongerait l'auditeur dans un état proche de la méditation, et le rendrait ainsi plus réceptif au sacrifice de la messe. Je ne sais si c'est vrai, car il ne m'a pas été donné de vérifier cette assertion. Par contre, des scientifiques et des psychologues m'ont affirmé que les armées de divers phonétiques qui agissent perdre à ceux qui y sont identité, en les rendant toutes suggestions c'est pays étudiaient de très près des séquences comme un véritable lavage de cerveau, faisant soumis leur volonté, et jusqu'au sens de leur ainsi malléables et particulièrement sensibles à bien pratique pour "retourner" des espions. Quoiqu'il en soit, ce qu'il importe que tu retiennes, c'est que dans les rites, le sens du mot ne joue aucun rôle c'est sa vibration sonore qui de l'opérateur. Quant à l'égrégore, ne cherches pas trouverais pas." Il se leva, chercha longuement dans livre : "Cette définition a été donnée lors l'envoûtement à la Société d'Etudes action sur le cerveau ce mot dans un dictionnaire, tu ne l'y sa bibliothèque, et en sortit un vieux d'une conférence faite sur psychiques de Nancy, en 1906, par un dénommé Phaneg. On y lit que si quelques personnes se réunissent en un endroit en émettant des vibrations fortes et identiques, par des pensées de même nature, un être véritable prendra vie et sera animé d'une force bonne ou mauvaise, d'après le genre des pensées émises. D'abord faible et incapable d'activité, prêt à se dissoudre s'il est abandonné, cet être collectif se précise à mesure que les réunions augmentent, sa forme devient de plus en plus nette et il acquiert une possibilité d'action de plus en plus grande. - 9 - Autrement dit, poursuivit D. après avoir achevé sa lecture, comme les ectoplasmes, l'égrégore est un être dénué de corps (il arrive cependant qu'un médium particulièrement doué arrive à le matérialiser) , qui est enfanté par la volonté commune d'un groupe. Et plus grand sera le nombre de personnes qui communieront dans cette pensée commune, plus forte sera l'efficacité de cette entité psychique, qui pourra même aller jusqu'à provoquer ce que l'on considèrera comme des miracles. Toutes les religions, sans exception, sont des égrégores. Pour prendre un exemple, la religion catholique est un égrégore que le Christ et ses douze apôtres constituèrent. Jésus leur donna même clairement le mode d'emploi il leur conseilla de se réunir entre eux, même lorsqu'il aurait disparu, pour, dit-il, accomplir des gestes (la Cène) en mémoire de lui, et prier. Ces actes rituels, ces pensées communes, vont nourrir l'égrégore qui, comme tout ce qui est vivant, naît, vit et meurt, et a besoin durant son cursus de s'alimenter pour survivre et croître. Mais ce que mange l'égrégore, ce dont il se repaît, ce ne sont pas des substances matérielles. C'est un être psychique qui vampirise la foi de ses fidèles. S'il advient que ceux ci deviennent moins nombreux, l'égrégore faiblit, car il a moins d'"aliments" à se mettre sous la dent. S'il n'a plus de quoi se substanter, il finit par disparaître. Plus l'égrégore est puissant, plus il est actif, plus il est en mesure d'exaucer les voeux de ses fidèles, et donc plus il attire à lui de nouveaux adeptes. A l'inverse, moins il se trouve de gens pour croire en lui, plus il s'affaiblit, moins il est efficient, et donc de plus en plus de fidèles se détournent de lui. La vie de l'égrégore est théoriquement illimitée; en fait, il est comme le souvenir; il n'a d'existence réelle que lorsqu'il existe encore quelqu'un pour y penser. L'égrégore explique l'efficience de la superstition théoriquement, ces rites altérés, détournés de leur sens premier, employés le plus souvent par des êtres frustres qui croient au pouvoir des formules incantatoires, ne devraient pas marcher mais c'est oublier que ceux qui s'adonnent aux pratiques superstitieuses ont la foi en ce qu'ils font et c'est cette - 10 - foi, et rien d'autre, qui va constituer l'entité psychique qui donnera les résultats escomptés. Il est d'ailleurs à remarquer que les égrégores nés de la superstition sont le plus souvent négatifs: égrégores de haine, de domination etc. C'est simple à comprendre: il faut neuf mois pour fabriquer un être humain, un coup de couteau le détruit en un instant; il faut dépenser une patience d'ange pour construire un château de cartes, d'une pichnette, il s'écroule. Bref dans la vie, tout ce qui concourt à la destruction les physiciens appellent cela l'entropie -est plus rapide et plus intense que ce qui concourt à l'édification de systèmes complexes les physiciens appellent cela la néguentropie et la vie, le bonheur, l'amour sont des systèmes complexes à édifier sur cette terre. Accoucher d'un égrégore malfaisant ne demande nulle connaissance spéciale, et pas beaucoup d'ef fort. Il suffit de haïr fortement, c'est tout, et la haine, hélas est un des sentiments les plus courants dans ce monde. Mais même dans les hautes sphères de la magie cérémonielle, l'égrégore se révèle indispensable. Je t'ai expliqué il y a quelques temps les raisons physiques pour lesquelles un cercle peut récupérer l'énergie dépensée au cours d'une opération. Cette faculté naturelle de la forme circulaire se trouve être renforcée par la croyance de nombreux opérateurs. (Là dessus, o. se dirige vers une boite à fiches dont il extrait un texte) .On peut lire sur une tablette d'argile sumérienne qui a plus de 6000 ans : "Enfermes cet homme dans un cercle Enfermes-le dans un cercle de plâtre Fermes la porte de clôture à droite Fermes la porte de clôture à gauche conjures au nom du ciel conjures au nom de la terre." Que tu croies encore ou que tu ne croies plus à la religion de tes pères, tu appartiens à l'égrégore catholique. En dehors de leurs sens, les mots que j'ai employés en consacrant ton épée ont conservé la puissance de leur vibration sonore, et réactivé, dans l'égrégore, la force pensée à laquelle ils correspondent. Et maintenant, as-tu des questions à me poser ?" - 11 - Je viens de relire mon rapport de ce jour. Et je m'aperçois que les exposés de D. sont toujours aussi clairs, et aussi brillants. Tout ce qu'il dit semble s'articuler avec une parfaite logique, au contraire des livres que j'ai lus jusque là sur l'"occultisme", qui sont un fatras incompréhensibles de présupposés et de superstitions. Comme d'habitude, il était allé au devant de nombre de mes questions, ce qui fait que je n'en avais plus beaucoup à lui poser. En fait, il ne m'en restait que deux. "VoUS m'avez dit l'autre jour bientôt, tu n'auras plus de rhume. Je n'ai pas très bien compris ce que vous vouliez signifier par cela. Est-ce que vous voulez dire que lorsqu'on devient un initié, on n'est plus jamais malade ? C'est effectivement à peu près cela que je voulais te laisser entendre. Réfléchis bien. Au cours de millions d'années, notre organisme s'est adapté à notre environnement; il a tout aussi bien su en tirer parti que se défendre contre ses attaques. D'ailleurs, le simple fait que telle ou telle espèce existe actuellement sur cette terre est la preuve qu'elles ont su s'adapter et résister, sinon elles ne seraient plus. Les maladies peuvent avoir essentiellement trois causes : un dysfonctionnement interne de notre mécanisme d'origine congénitale; c'est très rare. On ne peut initier quelqu'un qui souffre d'une telle tare. Ca peut sembler injuste, mais c'est ainsi. elles peuvent être la résultante d'une dette karmique ; alors, elles disparaîtront, puisque l'un des degrés de l'initiation a justement pour fonction de régler cette dette (note de l'éditeur : au Grand Collège Initiatique, la dette karmique se règle lors du cinquième degré de l'initiation) . mais dans 90 % des cas, les maladies ne sont rien d'autre que la manifestation physique d'une mauvaise hygiène de vie et / ou d'un psychisme perturbé; alors l'organisme se trouve affaibli : ses défenses naturelles ne sont plus aussi efficaces qu'auparavant et ne peuvent plus lutter contre l'ennemi, le microbe ou le virus. Ou bien l'information contenue dans les cellules se brouille, et l'on voit apparaître des cancers. Mais par les exercices physiques et psychiques qu'il pratique, tout - 12 - candidat à l'initiation pratique une hygiène de vie et une rectitude mentale qui, dans un premier temps, répare les dégâts du passé et, dans un second temps, l'assure d'une santé à toute épreuve. Bien entendu, l'initié n'échappe pas aux effets normaux de la sénescence et de l'usure du temps. Cependant, tous ceux que j'ai connus sont restés en parfaite forme physique et ont conservé une totale lucidité d'esprit jusqu'à leur dernier souffle. Vous avez dit que Jésus n'était pas mort sur la croix. C'est vrai ? Je ne l'ai pas affirmé. Mais diverses observations, et divers textes auxquels j'ai pu avoir accès, semblent l'indiquer. Bien sûr, c'est contraire à ce que semblent dire les évangiles. Mais il faut savoir que ceux-ci sont des textes symboliques, et en aucun cas une biographie exacte. Tout d'abord, tous les textes des historiens romains le prouvent et toutes les observations de la médecine moderne également: le supplice de la croix était un supplice particulièrement terrible, car on y mourrait à petit feu d'étouffement et il fallait plusieurs jours pour rendre le dernier soupir. Ensuite (il alla chercher sa bible), il est dit dans l'évangile de Jean "Après ces évènements, Joseph d'Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par peur des juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Pilate le permit. Ils vinrent donc et enlevèrent son corps. Nicomède -celui qui précédemment était venu de nuit trouver Jésus vint aussi, apportant un mélange de myrre et d'aloés d'environ cent livres." Or un tel mélange n'est nullement un parfum mortuaire. Le médecin arabe Avicenne, dans son livre "Le Canon de la Médecine", en donne d'ailleurs la composition, en précisant qu'il s'agit d'un baume destiné à soigner les plaies. Qu'est-ce qui a bien pu vraisemblablement se passer ? Lorsqu'on lui amena Jésus devant lui, Pilate se rendit compte non seulement que ce Juste ne menaçait nullement l'autorité de Rome, mais de plus au cours des divers interrogatoires, il se prit à l'admirer. Cependant les ennemis du Christ étaient puissants, et ne désarmaient pas. Alors pilate eut recours à un subterfuge. Il fit crucifier Jésus un jour où la tradition juive exigeait que les - 13 - corps des suppliciés soient descendus de la Croix avant la tombée du jour. Jésus n'a donc pas eu le temps de périr étouffé. Après quoi, un inconnu récupère le corps, et à l'abri des regards, Joseph d'Arimathie et Nicomède le soignent. C'est quand même, tu l'avoueras, plus plausible que la résurrection. Alors, Jésus n'est pas le fils de Dieu ? Pas dans le sens où tu l'entends. Mais tous les initiés sont les fils de Dieu car ils ont un contact intime avec la Divinité. Et tous les Initiés sont réellement immortels, car sur cette terre même, ils ont la claire vision de ce qu'est l'au delà. -Donc Jésus est mort comme tout le monde ? Oui. Des textes qui se trouvaient au Thibet laissaient à entendre qu'après cet épisode, il avait repris, en compagnie de Marie, sa mère (car son père Joseph était mort) la route de l'Orient qu'il avait déjà empruntée lorsqu'il avait treize ans. Il est mort comme tous les hommes. Il est éternel comme tous les Initiés. Et l'égrégore du christianisme lui a survécu. Désires-tu me poser d'autres questions ?" Je n'en avais plus et le lui dis. "Alors nous allons maintenant pratiquer les exercices de gymnastique destinés à combattre les sensations d'ivresse que tu ressens au cours de ton entraînement respiratoire. Cette gymnastique doit se faire après les exercices d'oxygénation. Enlèves ta veste, tes chaussures, dégraffes ta chemise, bref, mets-toi à l'aise. Allonges-toi sur le dos sur le tapis du bureau. Joins tes jambes et tes talons. Inspires à fond. Puis, tout en expirant, relèves lentement tes jambes sans les plier. Arrivé au bout de ton expiration, marques une pause. Et baisses de nouveau tes jambes vers le sol, toujours droites, en inspirant. Quand elles touchent le sol, marques un temps d'arrêt. Recommences à les lever. Tu feras ce mouvement dix fois de suite ... Maintenant, relèves-toi sans fléchir les genoux, courbes-toi lentement jusqu'à ce que tes mains effleurent le sol, tout en expirant et en contractant au maximum les muscles de ton ventre. Marques un temps d'arrêt à la fin de ton expiration. En inspirant, relèves toi lentement en renversant le buste à l'arrière. Marques un - 14 - temps d'arrêt, puis recommences. Cet exercice aussi doit se faire dix fois de suite Gardes ton buste droit. Accroupis-toi en fléchissant les genoux et en expirant l'air. Marques un temps d'arrêt. A faire dix fois ... Enfin voici le quatrième et dernier exercice de gymnastique. Accroupis-toi. Fermes les yeux et concentres-toi sur le sommet de ton crâne. Imagines qu'un fil invisible te tire vers le haut à partir de ce point. Dès que tu le sens, redresses-toi d'une brusque détente en expirant l'air. C'est bien. Cet exercice est très fatigant au début. Répètes-le autant que tu le peux, sans forcer. si cela t'aide, tu peux même crier en te redressant. Ces quatre exercices doivent se faire dans cet ordre ... Maintenant allonges-toi de nouveau et reposes-toi." Après avoir pris un repos salutaire, D. me pria de nouveau de m'asseoir face à lui et me dit : "Nous allons maintenant entamer l'entraînement psychique, qui constitue l'essence du développement de ton esprit dans le but de l'unir à la réalité. L'entraînement psychique repose, comme en mathématiques, sur sept postulats, qu'un auteur, monsieur Kerneiz, a très bien décrits dans son livre "le yoga de l'occident". Je vais te lire ce qu'il en dit." Il se dirigea vers sa bibliothèque, et en sortit un livre relié qu'il ouvrit à une page préalablement marquée, puis se mit à lire "1 Les lois fondamentales de notre pensée sont les lois fondamentales de la pensée universelle. 2 -Le contenu de notre pensée est exclusivement composé de nos représentations (sensations actuelles ou souvenirs), quelque soit le plan sur lequel notre pensée exerce son action. 3- Les représentations sont une création interne de notre pensée que nous attribuons faussement à l'action sur nous-mêmes d'une réalité extérieure. 4 Normalement nous n'avons pas conscience de créer la représentation. En conséquence, nous sommes normalement incapables de produire ou de modifier volontairement et directement la représentation. - 15 + 5 Un entraînement approprié permet de rendre conscient le travail créateur de notre pensée, et par là même de produire ou de modifier volontairement et directement la représentation, c'est à dire ce que nous appelons faussement le monde extérieur. 6 -En rendant conscient et volontaire le travail créateur de notre pensée, nous nous identifions avec la pensée universelle. 7 En nous identifiant avec la pensée universelle, nous réunissons le moi relatif ou mental avec le moi absolu, inconditionné, source unique de toute pensée, et par suite de toute action et de toute réalité. Ces sept aphorismes montrent clairement le mécanisme de l'entraînement psychique occulte c'est en elle-même, par une étude introspective, et non en dehors d'elle-même, que la pensée cherche la vérité. Le but atteint, c'est à dire la Vérité unique, toutes les autres vérités ne sont que des vérités relatives, le sujet pensant se confond avec l'objet pensé (tu souligneras: le sujet pensant se confond avec l'objet pensé) . Considéré sous un autre angle, l'entraînement mystique comprend les deux étapes suivantes : 1) Dégager la personnalité vraie ou primaire de la personnalité apparente, c'est à dire, en nous libérant de la chaîne des renaissances en l'Adam, nous créer une personnalité immortelle. La plupart des occultistes limitent leurs efforts à atteindre cette étape. 2) Réunir le moi relatif ou mental avec le moi absolu que l'on dit à tort impersonnel, puisqu'il est au contraire la plénitude de la personnalité. On l'appelle encore le Vide, parce qu'il n'a pas de contenu. C'est l'En-Soph (il épela le mot) des kabbalistes. Cette union, but suprême du yoga et du mysticisme boudhique, est ce que les orientaux appellent le Nirvana ou le Kaivalya, suivant les écoles. Tout naturellement, la première étape consiste d'abord à dégager la personnalité primaire des personnalités secondes. Mais il faut en outre transformer cette personnalité primaire pour qu'elle devienne indépendante du corps de l'Adam et du plan matériel. On n'y parviendra qu'en modifiant son contenu, c'est à dire ses représentations (sensations actuelles et souvenirs) . - 16 - Le mental n'est que dynamisme. Projection du moi absolu ou vide, il est indépendant de tout contenu. C'est la forme de notre personnalité, mais en soi cette forme est creuse. C'est comme un rayon de lumière traversant l'espace tant qu'il ne rencontre pas de matière pour s'y réfléchir, c'est comme s'il n'existait pas; cette lumière, tant qu'elle est seule, n'est que ténèbres. Mais que le rayon rencontre un écran matériel, et la lumière se fait. Oui, mais encore ne voyons nous que l'objet éclairé, ce qui nous fait supposer -et supposer seulement -l'existence du rayon lumineux. Nous ne percevons pas le mental, qui pourtant est nous, mais nous le supposons présent derrière l'ensemble de nos représentations. C'est le sujet auquel nous rapportons toute notre activité, tant active que passive. Couramment dans la pratique, nous confondons le support avec le supporté, la personnalité avec le Moi. Quand nous disons je suis ceci Je suis cela c'est de notre personnalité, et non de notre moi, que nous voulons parler. Bien qu'il faille toujours se défier des comparaisons, je pense que l'histoire de l'homme invisible de Wells peut offrir une image assez juste des rapports du moi avec la personnalité. Le héros du roman, pour mener une vie ressemblant à la vie normale des autres hommes, était contraint de mettre un masque sur le néant de son visage. Masque et vêtements lui prêtaient en quelque sorte la personnalité visible qu'il n'avait plus. Nous masquons et nous habillons de même le vide du Moi avec nos représentations, sensations et souvenirs. Maintenant, tandis que nous n'avons qu'un seul Moi dans la s'accession du temps, nous pouvons avoir, et nous avons en fait, des personnalités successives. Un nouveau groupe des maladies de la personnalité nous fera comprendre cette succession. Il ne s'agit plus cette fois des maladies de la personnalité par substitution d'une personnalité seconde à la personnalité primaire, mais des maladies de la personnalité par simple amnésie, qui laissent intact le caractère, ce que l'on peut appeler l'indice psychique du moi. Par exemple, Pierre, au cours d'un voyage, est frappé d'amnésie. Il oublie tout de son existence antérieure, même son nom. Comme nul ne le connaît dans la ville où il a échoué, il reconstruit - 17 - une personnalité nouvelle avec des sensations nouvelles et des souvenirs nouveaux. pierre aura donc successivement une personnalité n" 1 avant son amnésie, puis une personnalité n" 2 après son amnésie. Il oublie tout de son existence antérieure, mais il ne change pas de moi. Cet exemple montre bien comment la personnalité est dépendante d'un groupement donné de représentations. Bien que le mot agrégat évoque l'idée d'objets matériels et spatiaux, ce qui est inexact dans le cas qui nous occupe, on pourrait dire que la personnalité est un agrégat de représentations, sensations et souvenirs qui gravitent autour du moi. A chaque naissance successive, nous édifions ainsi une personnalité nouvelle qui se désagrège ensuite après la mort dans la période qui sépare deux existences. Or, et ceci est fondamental, nous pouvons créer volontairement d semblables personnalités en nous créant volontairement et consciemment des systèmes nouveaux de représentation (tu souligneras toute cette phrase, me dit D., car elle est l'une des clefs de voûte des pratiques magiques} . La personnalité se nourrit d'idées, de représentations, comme le corps se nourrit d'aliments. Nous les assimilons, nous les faisons nôtres, et nous pouvons aussi les désassimiler, dans une certaine limite, il est vrai, car il en reste toujours un résidu. Il est en effet certains résidus de représentation auxquels le mot même de souvenirs conviendrait mal. En somme il s'agit dans l'ordre psychique de quelque chose d'assez analogue au magnétisme rémanent. Depuis le moment, reculé dans le lointain sans bornes, où notre mental s'est dégagé de la vie élémentaire, c'est à dire quand notre moi a commencé à s'entourer, à s'habiller, à se masquer de représentation, aucune expérience n'a disparu sans laisser de traces ni sans modifier le dynamisme du moi, le Karma. Et ceci a créé, lien permanent entre le moi et les personnalités successives, une autre personnalité, résultante de toutes les autres. Cette personnalité, qui n'est située d'ailleurs ni dans le même temps, ni dans le même espace que nos personnalités matérielles, est notre personnalité animique, notre âme, première gaine sur le vide du moi. C'est dans la personnalité animique - 18 - qu'il faut rechercher la racine de certains sentiments de notre vie matérielle, comme l'amour, l'émotion esthétique. J'ai déjà parlé du passage d'un plan à un autre. Pour tous résultats pratiques, cela revient exactement au même que de passer d'un système ou d'un ordre de représentations à un autre. Sur le chemin direct, tous les déplacements sont intérieurs nous ne sortons jamais de nous-mêmes, et c'est dans le mystère de nous-mêmes que nous avançons vers le but. Cependant pour les mêmes raisons et par la même illusion que nous admettons l'existence d'un monde matériel extérieur à notre pensée, on admet l'existence extérieure, objective de différents plans. Cette manière de représenter les choses est en effet plus simple, pourvu qu'on n'oublie jamais qu'en fait, changer de plan n'est que changer de système de représentations. Les frontières entre les différents plans sont d'ailleurs assez mal délimitées. En d'autres termes, nos différents ordres de représentations se chevauchent et se pénètrent réciproquement. Ainsi par exemple, il est parfois assez difficile de dire où le plan infra astral finit et où le plan matériel commence. Dans la vie courante, beaucoup d'idées, d'émotions nous viennent d'autres plans que le plan physique. Nous les transformons alors par un mécanisme habituel à notre pensée, en sensations normales du plan dans lequel nous vivons. De là vient entre autres choses la forme humaine que nous donnons aux apparitions. Nous avons vu aux aphorismes 2 et 3 que les représentations constituent le contenu de notre pensée et qu'elles sont la création de notre pensée. Dans la vie courante quand nous reconnaissons qu'une ou plusieurs représentations sont la création de la pensée, nous disons que le sujet est auto- suggestionné ou qu'il a été halluciné, l'hallucination n'étant qu'une auto-suggestion inconsciente. Nous réunirons donc pour le moment sous le terme commun d'autosuggestions, l'autosuggestion proprement dite et l'hallucination. Considérez comme un axiome fondamental de la doctrine secrète que toute représentation n'est qu'une auto-suggestion (tu souligneras également cette phrase, me dit D.) . Toute représentation tend à se transformer en acte qui, dans le cas de représentations purement intellectuelles, peut n'être - 19 - qu'un acte de foi. Ce qui l'empêche de se transformer effectivement en acte, c'est la multitude des autres représentations. Mais que l'une d'elles, ou en intensité propre, ou par la disparition ou l'effacement des autres, soit momentanément isolée, elle passe automatiquement à l'acte. La volonté n'est autre chose qu'une représentation isolée. La puissance de réalisation d'une représentation est en raison directe de son degré d'isolement. (Tu souligneras ces deux dernières phrases). Deux méthodes permettent d'isoler une représentation. La première, c'est de la renforcer, de façon qu'elle s'impose et relègue les autres au second plan, comme une plante vigoureuse étouffe et dépasse les plantes chétives qui l'entourent. On obtient ce renforcement par la répétition. Ce procédé étant très connu, nous renverrons le lecteur, pour son étude, aux divers ouvrages traitant de l'autosuggestion, et particulièrement à la méthode du docteur Coué. La deuxième méthode, particulière à l'occultisme, consiste à isoler une représentation par l'élimination des représentations concurrentes. Ce procédé -se nomme la concentration. (Tu souligneras les deux dernières phrases) .Son résultat, c'est le monoidéïsme, c'est à dire l'état obtenu quand une représentation unique subsiste dans l'esprit. Le monoidéïsme est le grand et unique instrument de la puissance occulte (Tu souligneras cette dernière phrase) . Dans la vie courante, un homme dont on dit qu'il a une volonté forte n'est qu'un homme qui pratique inconsciemment et naturellement le monoidéisme. Le monoidéisme étant l'instrument grâce auquel nous transformerons notre personnalité humaine et morte] .le en personnalité immortelle, il en résulte qu'en somme nous ne ferons qu'étudier sa pratique et ses applications pendant tout le cours de l'entraînement psychique. La concentration par laquelle s'obtient le monoidéisme, est favorisée bien au delà des possibilités humaines normales par les exercices respiratoires. Elle l'est d'ailleurs, bien qu'à un degré moindre, par tout acte organique rendu conscient et, en particulier par toute réception ou émission de substance par l'organisme. Ajoutons que certaines - 20 - drogues peuvent provoquer le monoidéisme limité à certains ordres particuliers de représentations. Mais tout ceci est du domaine de la sorcellerie. Les exercices psychiques fondamentaux sont toujours joints aux exercices respiratoires et c'est la raison de l'importance que nous leur avons donnée. Il serait vain de travailler à nous édifier une personnalité nouvelle si nous ne prenions pas préalablement le soin de désagréger les éléments qui constituent l'ancienne, c'est à dire cette personnalité humaine, matérielle et périssable, que nous voulons remplacer par une personnalité immortelle. L'entraînement psychique débutera donc par une longue période de méditations, auxquelles nous nous livrerons pendant tous les instants où nos occupations nous en laisserons le loisir, qui commencera avec les premiers exercices respiratoires et qui se prolongera pendant tout le temps que l'étudiant mettra à s'y familiariser. L'étudiant s'astreindra en outre chaque soir avant de s'endormir à un examen de conscience long et complet de son activité de la journée, examen de conscience sur lequel nous reviendrons plus loin. Descartes, au début de son Discours de la Méthode, nous conseille de faire table rase de toutes nos connaissances, même celles que nous considérons comme les plus solidement acquises. Létudiant devra faire de même, car ce sont ces connaissances acquises Zces représentations Zqui constituent notre personnalité terrestre. Il ne faut pas quil les supprime, ce serait impossible, mais il faut quil les sépare de lui en brisant le lien qui les unit à son Mental. Ce lien, cest la croyance à la réalité objective. La croyance et la science Zi `emploie ici le mot science dans le sens de substantif du verbe savoir, et non dans le sens courant Z ne présentent entre elles aucune différence réelle (A souligner, dit O.) .Cela seul les distingue que nous disons croire à une chose quand elle se présente isolément sans fusionner avec le système général de nos représentations, et que cependant nous lassimilons à notre personnalité, nous la faisons nôtre. Par contre, nous disons que nous savons une chose quand elle entre harmonieusement dans les systèmes de nos représentations acquises. La certitude nest que lassimilation dune idée donnée - 21 - au système déjà constitué par l'ensemble de nos représentations. (Tu souligneras cette phrase) .Nous nous limitons à ce très sec exposé, les développements philosophiques qu'il comporterait s'écartant du cadre de cet ouvrage. Mais il est quelqu'un qui bien mieux encore que Descartes nous a indiqué ce qu'il fallait faire et c'est Jésus: "Je vous le dis, en vérité, celui qui ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n'y entrera point." Le petit enfant, c'est la table rase par excellence. Sa personnalité humaine est à faire, elle n'est point faite. Il n'a encore rien acquis, il a tout à acquérir. C'est à ce point de départ qu'il faut revenir si nous voulons nous reconstruire une personnalité immortelle. Tel est le sens exact de la parole de Jésus. (Souligné par D.) . Avant de commencer votre journée, dites-vous, répétez-vous : je vais vivre aujourd'hui une fantasmagorie que ma pensée va se créer à elle-même. J'aurai des rêves qui ne diffèreront de ceux de mon sommeil qu'en ce qu'ils seront liés entre eux et reliés aux rêves d'hier et des jours précédents, et qu'ils rentrent dans le système cohérent de représentations que je n'ai cessé d'édifier depuis mon enfance. Peu importe que vous en soyez ou non maintenant convaincu. Faites comme si vous l'étiez. La conviction, avec le temps, viendra d'elle-même, et quand vous l'aurez obtenue, vous aurez franchi l'étape la plus pénible du chemin direct. (Tu souligneras les trois dernières phrases) . Au cours de la journée, dès que vous avez un instant de libre, examinez tou~es vos idées, les mieux ancrées, tant au point de vue intellectuel qu'au point de vue moral, à la lumière d'une critique impitoyable. Recherchez celles qui ont leur origine en vous mêmes et celles qui ont une origine étrangère, qu'elles viennent d'autres hommes ou de vos personnalités secondes. Triez celles qui proviennent uniquement de vous. Vous en trouverez bien peu. Recherchez les causes de votre conviction dans un cas comme dans l'autre. Quand vous serez devenu maître dans cette analyse, vous trouverez invariablement à la base de toutes vos idées, votre seule et unique auto-suggestion personnelle. (Souligné par D.) .Le soir venu, à la lumière de la même et impitoyable critique, faites votre examen de conscience. Repassez toute votre - 22 - activité de la journée, analysant tout ce que vous avez fait, tout ce que vous avez cru apprendre, tout ce que vous avez senti et éprouvé, jusqu'à ce que vous sentiez que seule votre pensée a travaillé, que rien d'extérieur n'y a pénétré, et que vous n'avez fait qu'un rêve bien lié. Je dois vous avertir que lorsque cet entraînement commencera à porter ses fruits, vous passerez une période pénible: vous vous sentirez effroyablement malheureux et désemparé, vous aurez l'impression que tout vous fuit et vous échappe, que vous sombrez dans un abîme sans fond. Nous verrons un peu plus loin comment on peut artificiellement se donner un appui nouveau pour franchir cette étape douloureuse et dangereuse. Il faudra que vous procédiez dans le domaine affectif à une critique analogue. Cette partie de l'entraînement est particulièrement délicate. Une erreur commune, c'est de chercher à supprimer toute affectivité pour aboutir à l'indifférence totale. C'est paralyser le grand ressort qui seul peut nous entraîner vers l'Absolu. Il ne faut pas abolir nos facultés affectives, il faut les contrôler diriger. (Souligné par D.). De même que l'intelligence se divise en catégories, au sens kantien, qui sont des formes vides, et en représentations, qui sont le contenu des premières, l'affectivité se divise en catégories ou formes vides qui sont les facultés d'aimer et de haïr, et le contenu de ces catégories qui sont les représentations objets de l'amour et de la haine. Ici, quelques données sommaires de métaphysique occulte sont nécessaires. La haine et l'amour humains sont des formes de la répulsion et de l'attraction cosmiques. L'attraction réintègre ce que la répulsion a désintégré. On peut se représenter le cosmos comme un double cône spirale, avec un double courant de monades descendant du moi primordial vers l'écorce matérielle (tension superficielle à un moment donné de l'extension) , et remontant ensuite vers le moi primordial. Ce n'est qu'une image car en fait il s'agit d'actions qui prises en soi ne sont ni spatiales ni temporelles. Mais comme notre personnalité matérielle ne peut rien se représenter en dehors du temps et de l'espace, cette comparaison - 23 - pour des raisons qu'il serait en dehors de notre sujet de développer ici, est peut-être celle qui nous donne l'idée la plus juste du double aspect de la vie cosmique. En fait, il n'y a pas de différence de nature entre ces deux courants. L'attraction et la répulsion sont toutes deux le Moi primordial, le Vide, qui passe de la puissance à l'acte. La façon la plus intelligible de les caractériser consiste à dire qu'il s'agit d'une même force, tantôt prise positivement, au sens physique, tantôt prise négativement. L'attraction et la répulsion sont un seul et même dynamisme, mais avec un signe contraire (Souligné par D.). Il serait également inexact de considérer ces deux courants comme formant deux univers distincts dans le Cosmos. Ils ne forment qu'un tout, ils s'emboîtent l'un dans l'autre et ils réagissent perpétuellement l'un sur l'autre. C'est cette réaction même qui est le Cosmos, et l'Absolu est égal à leur somme. (Souligné par D.) .Sous un autre aspect, ces deux courants sont le bien et le mal, Ormuzd et Arhiman (il épela ces deux mots) c'est l'ésotérisme de la religion de Zoroastre. Ceci dit, on comprendra qu'à n'importe quel moment donné de notre évolution sur la spire ascendante, il y a sur la spire descendante un être symétrique à nous. Je dis symétrique en raison de l'inversion des signes des deux spires. Il faut considérer que pour un tel être le temps et l'espace sont de signes contraires à notre temps et à notre espace. Cet être, cet élémental puisqu'élémentals est le nom que l'occultisme donne aux êtres de la spire descendante, est à la fois nous-mêmes et le contraire de nous-mêmes. C'est nous, si l'on peut dire, mais vus à l'envers avec une transposition totale des valeurs. On conçoit que la réaction d'un tel élémental sur nous soit perpétuelle, comme l'est d'ailleurs notre propre réaction sur lui. Pour nous, c'est l'éternel tentateur, l'entité dont la tendance constante est de nous entraîner dans sa chute, comme notre tendance constante est de l'entraîner dans notre ascension. Tel est l'ésotérisme du mythe satanique dans la religion chrétienne et dans beaucoup d'autres. Pour nous, le bien, c'est l'attraction, c'est l'amour. Pour l'entité symétrique, c'est la répulsion, c'est la haine. Le haine, le mal, dans notre spire ascendante, sont le produit de la - 24 - réaction de la spire descendante. Notre personnalité n'est composée que de nos représentations. En haïssant certaines de ces représentations, nous haïssons une partie de nous-même, nous la repoussons loin du mental. La haine tend ainsi à provoquer une désintégration animique alors que la loi de notre spire, c'est la loi de l'amour, c'est à dire de la réintégration animique. Cette répulsion nous entraîne sur la spire descendante avec notre double satanique. L'ascension fait place à la chute. (Souligné par D.). Dans certains cas extrêmes, il arrive qu'un être humain change tout à fait de signe, c'est à dire de spire. C'est un des dangers de la magie dite noire et de la sorcellerie qui font appel plus ou moins consciemment aux entités de la spire descendante. La réciproque est d'ailleurs vraie. Il y a des cas, peut-être plus nombreux qu'on ne croit, où des entités de la spire descendante passent dans la nôtre. Mais ceci nous entraînerait encore trop loin de notre sujet. Ce qui est essentiel pour le but que nous nous proposons, c'est que la haine est le plus grand obstacle à notre progression. Elle fait plus que nous arrêter, elle nous ramène en arrière. (sans compter qu'elle fait souffrir celui qui la ressent) . L'équilibre entre la haine et l'amour est la stagnation qui est l'état prédominant de l'humanité actuelle, le fléau de la balance penchant légèrement, très légèrement, en faveur de l'amour. Si une rupture d'équilibre se produit, l'homme est rapidement entraîné dans un sens ou dans l'autre, selon le cas. (D. interrompit alors sa lecture; il me dit: "ce texte a été publié en 1938, et il est prémonitoire; la rupture d'équilibre s'est produite l'année suivante, et la barbarie a déferlé sur le monde") . L'étudiant devra provoquer ce déséquilibre en faveur de l'amour en éliminant complètement la haine de sa vie affective. Il devra non seulement supprimer ses haines particulières, mais véritablement atrophier en lui la faculté de haïr. Tout progrès sur le chemin direct est à ce prix. (Souligné par D.) Quant à la faculté d'aimer, il va de soi qu'il s'agit de l'exalter au lieu de la détruire. Mais la tâche qui s'impose à l'étudiant, c'est de l'épurer en son objet, c'est à dire de lui - 25 Z donner un contenu tel qu'il soit indépendant de la vie matérielle dans l'Adam. Il faut que ce contenu nouveau puisse subsister alors que tous les liens avec l'Adam seraient rompus. Ceci est une partie essentielle de l;uvre qui consiste à nous créer une personnalité immortelle. Tout contenu affectif dépendant d l'Adam nous ramènera automatiquement à revivre dans l'Adam (Souligné par D.) . Cette épuration de notre affectivité se traduira pratiquement par une lutte incessante et impitoyable contre l'égoïsme (soulignes ce mot) et toutes ses manifestations. L'égoïsme n'est pas en effet, comme on le croit généralement, l'amour du moi, c'est l'amour des haillons dont nous l'habillons, c'est l'amour des représentations qui forment notre personnalité matérielle. C'est cet agrégat que nous appelons nous-mêmes et que nous chéris (Souligné par D.). Il existe un égoïsme patent qu'il est relativement facile de dépister et de combattre c'est celui qui a pour objet des représentations dont l'origine est notre propre corps physique. Mais il y a un égoïsme camouflé quand nous croyons aimer des êtres extérieurs à nous alors que nous aimons en réalité nous mêmes. C'est celui ci qu'il sera plus difficile de combattre. (Souligné par D.) . L'étudiant devra donc faire une critique incessante de sa vie affective, sans y laisser aucun terrain réservé, et sacrifier impitoyablement tous les sentiments qui ne sont qu'une forme camouflée de l'égoïsme. Vous comprendrez bientôt qu'en aimant votre personnalité terrestre par un égoïsme patent ou camouflé, vous asservissiez votre mental, votre moi au monde sensible, et agissiez comme votre pire ennemi. Vous commencerez alors seulement à aimer votre moi véritable, mais l'amour changera de nom en même temps que de nature. Ce sera la charité au sens théologique du mot. (Souligné par D.) .Car les théologiens qui étaient familiarisés avec ces distinctions, s'ils ont condamné sans pitié l'égoïsme, ont placé comme il se doit, la charité pour le moi avant tout. Caritas bene ordonata incipit a se met ipso; charité bien ordonnée commence par soi même. Ce sera la première étincelle de l'amour divin, de l'amour mystique de l'absolu. - 26 Z La charité pour tous les autres êtres ne sera que l'expansion, l'épanouissement de cet amour divin. (souligné par D.). Cette désintégration de la partie affective de la personnalité terrestre qui devra se poursuivre parallèlement avec la désintégration de la partie intellectuelle ne fera, on le conçoit sans peine, qu'augmenter le désarroi et la détresse de l'étudiant. Ils sombrerait presque infailliblement dans la folie ou le désespoir s'il ne recourait à ce moment à un procédé artificiel, auquel ont eu recours sans exception les occultistes de tous les temps et de tous les pays. Il devra prendre une religion comme point d'appui. (tu souligneras cette phrase, ainsi que celle qui suit). Les religions sous leurs diversités apparentes sont les formes voilées et incomplètes sous lesquelles la vérité unique a été connue de l'humanité au cours de son évolution. Je suppose que le lecteur sait déjà ce qu'il faut entendre par exotérisme et ésotérisme. La recherche de l'ésotérisme des religions est même souvent et non sans raisons confondue avec l'occultisme. La critique des religions met à nu leur exotérisme, commun à toutes et qui peut se résumer admirablement par ces paroles que Dieu dit à Moïse quand celui-ci lui demande: qui es-tu ? -Ego sum qui sum : Je suis ce que je suis". Au point de vue intellectuel, les religions ne sont donc que la vérité unique, incomplète et voilée. Au point de vue affectif, leur grand ressort est le mysticisme ou amour divin. Or l'amour divin sera le char de feu qui conduira l'adepte jusqu'à l'absolu. (Souligné par D.). Voilà pourquoi l'étudiant, bien que considérant les dogmes des religions comme de simples symboles, et leurs morales comme des préceptes dictés par des maîtres pour conduire l'humanité dans son évolution terrestre, devra adopter une religion pour le soutenir et l'aider pendant la durée de l'entraînement psychique:' S'il en a déjà une, il la gardera, mais en laissant de côté bien entendu les formules mortes pour ne s'attacher qu'à son ésotérisme. s'il n'en a pas, il en choisira une, dans le même esprit, bien entendu, que dans le cas précédent. - 27 - Nous ne voyons aucune nécessité à adopter de préférence une religion orientale, comme il est d'usage dans beaucoup de groupements plutôt qu'une religion occidentale. C'est ajouter une difficulté nouvelle à une chose qui est déjà assez malaisée par elle-même. Il est vrai d'un autre côté que souvent peut-être un occidental trop blasé sur les théologies de son propre pays trouvera plus facile de s'intéresser à une religion exotique. Vous me direz sans doute: mais je peux pas croire à volonté. 1! ne s'agit pas pour le moment de croire, il s'agit de faire comme si vous croyiez. (Souligné par D.). Quelque soit d'ailleurs la religion que vous aurez adoptée, n'ayez pas crainte de verser dans un anthropomorphisme un peu primitif. Représentez-vous les dieux, les génies et les saints, comme des êtres objectivement réels. Matérialisez au maximum l'idée que vous vous en formez. Dites-vous bien que si ce sont des illusions, ce ne sont pas plus des illusions que ce que vous considérez faussement comme le monde extérieur. Peu à peu, ces entités mythiques deviendront pour vous aussi réelles que les entités humaines avec lesquelles vous passez votre vie quotidienne. La plupart d'ailleurs correspondent à des entités réelles, autant qu'une chose, en dehors de l'absolu, peut être réelle, même s'il s'agit de personnalités forgées de toutes pièces au cours des siècles par l'imagination des fidèles. (Ici, me dit D., tu retrouves la théorie de l'égrégore que je t'ai exposée tout à l'heure; des entités nées de l'imagination peuvent acquérir le statut de l'existence) . Puis elles deviendront plus réelles et ce sera à elles que vous vous accrocherez quand votre croyance à la réalité objective du monde matériel se disloquera. Les entités mythiques de la religion choisie joueront un grand rôle pratique dans les divers exercices de l'entraînement psychique. Quant à la religion à choisir, si l'on n'en a pas, il nous semble que les meilleures sont la religion juive, en la ramenant à la kabbale, et la religion catholique, en la ramenant à son ésotérisme sur lequel existe toute une littérature. Pour ceux que leurs goûts portent vers l'Orient, le bouddhisme et surtout l' indouisme. - 28 - Enfin la franc-maçonnerie peut très bien remplacer une religion, mais en la ramenant au martinisme mystique dont elle est issue." Ayant terminé cette longue lecture, D. me tendit le livre "Voilà, me dit-il. Ce texte est fondamental et je suis parfaitement en accord avec presque tout ce qui y est exprimé. Il importe maintenant que tu t'efforces de le comprendre -car je suppose que tu n'as pas tout saisi dès la première audition, et que tu t'en imprègnes. Pour ce faire, je vais te laisser seul durant une heure environ. Tu vas relire lentement tout ce texte - ce sont les chapitres VII et VIII du livre, prendre des notes sur ce que tu penses avoir compris, et relever les passages qui te sembleront obscurs." Là dessus, il éteignit le magnétophone et me laissa seul. Lorsque D. revint, j'avais rempli quatre pages de questions et commentaires divers, en m'inspirant de la méthode d'analyse d'un texte que l'on m'a enseignée au lycée. Les voici : Notre pensée et la pensée universelle ont les mêmes lois fondamentales. Contenu de notre pensée nos représentations (sensations actuelles et souvenirs) qui ne proviennent que de nous et non pas de l'extérieur et que nous créons inconsciemment. Il faut rendre consciente cette création pour pouvoir produire et modifier à volonté nos pensées, ce qui nous relie à la pensée universelle, autrement dit ce qui unit notre mental et le moi absolu qui est la source unique de toute pensée, donc de toute action et de toute réalité. La pensée cherche la vérité en elle-même, le sujet pensant ce confond alors avec la vérité pensée = ce que D. m'a déjà dit lorsqu'il parlait de la "fusion". Les deux étapes de l'entraînement mystique sont : 1 Retrouver la personnalité vraie ou primaire sous la personnalité apparente pour créer une personnalité immortelle et la transformer en modifiant son contenu. (Que veut dire "se libérer de la chaîne des renaissances en l'Adam" 7 "pour qu'elle devienne indépendante du corps de l'Adam et du plan matériel" 7) 2 -Réunir le mental et le moi absolu = vide, EN SOPH (7) des kabbalistes (7), but du Yoga, Nirvana, Kaivalya. - 29 - Le mental est un principe dynamique, indépendant des représentations. Le mental est le moi, l'ensemble des représentations passées ou présentes constituent la personnalité. Le moi est. marqué par la personnalité. C'est lui qu'il convient de retrouver (exemple de l'amnésique: il change de personnalité, mais c'est toujours le même individu) . si nous changeons nos représentations, nous changeons notre personnalité, mais le moi reste. Changer de représentation = changer de plan (frontières entre les plans mal définis, comme la ligne qui sépare le yin du yang) . Qu'est-ce que le karma ? Personnalité animique = résultante de nos diverses personnalités (au sens physique du terme ? est-ce un égrégore ?) Que veut dire "Dans la vie courante, beaucoup d'idées et d'émotions nous viennent d'autres plans que le plan physique. Nous les transformons alors par un mécanisme habituel à notre pensée en sensations normales du plan dans lequel nous vivons. De là, entre autres choses, la forme humaine que nous donnons aux apparitions" ? Représentation (contenu de la pensée, créé par elle) = auto (ou hétéro) suggestion. Pensée :-> action. Mais si la pensée n'est pas assez forte, ou s'il yen a trop à la fois, l'acte ne peut être efficace (c'est ce que m'a déjà dit D. plusieurs fois) . Volonté = pensée (ou représentation) unique = monoidéisme. Pour parvenir au monoidéisme 1) renforcer la pensée par la répétition (qu'est-ce que c'est que la méthode du Dr Coué ?) 2) éliminer les autres pensées = concentration (ce que D. appelle "méditation") obtenue en particulier grâce aux exercices respiratoires. Que veut dire "Elle l'est, d'ailleurs, bien qu'à un degré moindre, par tout acte organique rendu conscient, et en particulier par toute réception ou émission de substance par l'organisme" ? Avant d'édifier une personnalité nouvelle et immortelle, il faut se débarrasser de l'ancienne qui est humaine, matérielle et périssable. Pour ce faire: .méditation - 30 - .examen de conscience chaque soir ; rend malheureux. Pour éviter cela: prendre une religion comme point d'appui (laquelle vais-je prendre ? Car j'ai beaucoup de préventions à l'égard du catholicisme dans lequel j'ai été élevé) . .rompre le lien qui nous unit à nos représentations anciennes en sachant qu'elles n'ont pas de réalité objective mais qu'elles ne sont que des créations de notre esprit, et que donc on peut en changer à volonté ("faire table rase" -Descartes; "redevenir un petit enfant" -Jésus) .faire le tri entre ce qui provient de l'extérieur et ce qui provient de nous; analyser dans un cas comme dans l'autre les causes de notre conviction. .critique du domaine affectif, non pour supprimer l'affectivité (indifférence), mais pour la contrôler et la diriger. L'affectivité est le grand ressort qui peut nous entraîner vers l'absolu. (Qu'est-ce que c'est que les catégories au sens kantien ?) . Catégories de l'affectivité l'amour, la haine (attraction / répulsion = action / réaction en physique ? ; puissance / acte ; positif / négatif; bien / mal) .Ce sont les deux faces du moi primordial = yin / yang ? Contenu de l'affectivité ce que nous aimons, ce que nous haïssons. Cosmos = l'interaction des deux catégories de l'affectivité. Absolu = l'ensemble de ces deux catégories (symbole: le yin / yang ?). Montée du monde matériel Descente du moi absolu vers le vers le moi absolu Amour Attraction Positif Initiation (?) Bien Jésus (?) Magie cérémonielle Vie éternelle Charité monde matériel Haine Répulsion Négatif Domaine de l'élémental Mal Satan Sorcellerie Mort Egoisme - 31 Z Absolu < > cosmos. Lorsqu'il y a équilibre: stagnation Que veut dire: "Quant à la faculté d'aimer, il va de soi qu'il s'agit de l'exalter au lieu de la détruire. Mais la tâche qui s'impose à l'étudiant, c'est de l'épurer en son objet, c'est à dire de lui donner un contenu tel qu'il soit indépendant de la vie matérielle dans l'Adam. Il faut que ce contenu nouveau puisse subsister alors que tous les liens avec l'Adam seront rompus. Ceci est une partie essentielle de l;uvre qui consiste à nous créer une personnalité immortelle. Tout contenu affectif dépendant de l'Adam nous ramènera automatiquement à revivre dans l'Adam" ? "Représentez-vous les Dieux, les génies et les saints comme des êtres objectivement réels". Je croyais que dans de nombreuses religions, et notamment dans la Bible, il était interdit de faire une image de Dieu ? D. prit mes quatre feuilles de papier, les lut, et après avoir remis en route le magnétophone, me dit : "Je vois avec plaisir que tu sais tirer la quintessence d'un texte et que tu as parfaitement compris la pensée de l'auteur. Je vais donc répondre aux questions que tu poses. Toutes les phrases qui contiennent le nom Adam semblent t'avoir troublé: en fait, l'auteur ne fait pas référence à l'Adam de la genèse, mais au concept d'Homme. Adam, c'est donc sous sa plume, le symbole de l'incarnation. Il ne s'agit plus ici du premier Homme, de l'ancêtre mythique, mais de la catégorie spécifique d'animaux de la création que nous désignons par homme. Notes d'ailleurs que selon le premier récit de la création dans la Genèse, Adam apparaît sous un aspect bisexuel: il est à la fois homme et femme, il est potentiellement toute l'humanité. C'est cet Adam que l'on appelle aussi l'Adam Kadmon, pour le différencier de notre père mythique. Tu as sans doute remarqué que l'auteur postule que nous vivons plusieurs existences diverses, plusieurs incarnations, plusieurs formes adamiques, avant de trouver la fusion avec l'Absolu. Dans chacune de nos existences, nos actes sont comptabilisés certains nous rapprochent de la divinité, d'autres nous en - 32 - éloignent. certains sont sur la spire ascendante, d'autres, au contraire, sur la spire descendante. A chaque nouvelle vie, nous emportons ce bagage avec nous et nous sommes alors libres de nous bonifier, c'est à dire de réduire les tendances de la spire descendante, et d'augmenter les tendances ascendantes, ou de faire le contraire. Lorsque, au cours d'une ex1stence, nous sommes parvenus à nous détacher complètement de tout ce qui nous lie au domaine de l'élémental, pour n'être plus qu'Amour et Attraction, cette existence est la dernière. Le cycle des réincarnations s'interrompt, et nous pouvons alors jouir pleinement de la félicité de la vie éternelle véritable, de la fusion avec l'Absolu. C'est cela la loi du karma. Toute personne qui arrive à parvenir jusqu'au bout d'une initiation véritable vivra sa dernière existence. Il sera, par la suite, libéré de la chaîne des renaissances en l'Adam, comme le dit l'auteur, et il deviendra ainsi indépendant du corps de l'Adam et du plan matériel. Pour ce faire bien sûr, il faut que l'Amour que nous portons n'ait pas pour objet des éléments spécifiques du monde matériel. Si un homme aime l'âme d'une femme, il aime l'image de l'absolu qu'elle représente, et cet amour pourra le sauver. Mais s'il n'aime que son corps, ou l'argent, ou la bonne chère, s'il s'abîme dans l'avarice, la luxure ou la gourmandise, il sera condamné à revivre une fois de plus, et une fois de plus on lui donnera l'occasion, la liberté, de se libérer de ces passions terrestres, car lorsque nous fusionnons avec l'Absolu, nous n'avons plus ni corps à satisfaire, ou à nourrir, ni deniers pour vivre. Je ne veux pas dire par là qu'il faut se détourner de l'amour physique, mendier sa vie le long des routes, ou s'interdire d'être gourmet. Il faut se garder des excès en ces matières - c'est tout ce que l'on réclame d'un adepte. La kabbale, que certains ont considéré à tort comme étant un ensemble d'ouvrages de sorcellerie ou de basse magie, est en fait l'une des voies initiatiques de l'occident, et peut-être la plus importante de ces voies. Son fondement, c'est la tradition judéo-chrétienne, et elle est tout à la fois une métaphysique, une - 33 - philosophie et une doctrine, réglées par une pratique théurgique, que l'on appelle la kabbale pratique. Elle constituera l'un des piliers centraux de l'enseignement initiatique que je serai amené à te donner dans les années à venir. Comme toute voie initiatique, le but final de la mystique et de la pratique kabbalistique est de mettre l'adepte qui s'engage sur cette voie en relation directe avec les plans supérieurs." D. sortit de sa bibliothèque un livre, l'ouvrit et lut "Une force occulte, endormie par la chute, est latente en l'homme. Elle peut être réveillée par la grâce divine, ou bien par l'art de la kabbale." C'est d'un visionnaire du XVIIe siècle, qui s'appelait Jean Baptiste Van Helmont, et qui se doublait d'un savant, puisqu'on lui doit entre autres la découverte du gaz carbonique et la mise en évidence du rôle du suc gastrique dans la digestion. La kabbale s'est développée en marge de la loi hébraïque officielle que l'on appelle la Thora. Elle réunit tout à la fois l'étoile à six branches, le sceau de Salomon qui est l'emblème national du peuple juif, et dont la signification, que nous étudierons plus loin en détail, est la loi du karma (que les juifs appellent, eux, loi du talion) et l'étoile à cinq branches, le pentagramme pythagoricien, symbole de connaissances, symbole de l'homme qui s'efforce par la pratique initiatique d'échapper aux cycles des réincarnations pour rejoindre les sphères de la pureté, celles du son et de la lumière. La kabbale constitue l'ésotérisme, au sens noble du terme, de la religion juive. Et toutes les religions révélées possèdent un ésotérisme, et tous ces ésotérismes ne disent finalement qu'une seule et même chose - mais de manière différente suivant les peuples et les époques : le but ultime de l'homme est de s'unir avec le divin, d'éprouver, déjà sur cette terre, la sensation de cette fusion. En ce sens, l'ésotérisme préserve la pureté originelle du message religieux, et quand la religion se dégrade en dogme, quand ses cérémonies ne sont plus que de vaines parades, les méditations et les pratiques cérémonielles de la "Magie" restent les seules voies qui mènent l'adepte au but ultime. Il y a diverses écoles kabbalistiques, diverses manières même d'écrire ce mot, mais peu importe. Ce que tu dois retenir de tout - 34 - cela, c'est que la kabbale est ta voie parce qu'elle est celle de ta tradition. Tu posais dans tes notes une question: quelle religion vais-je choisir ? Je viens de te donner la réponse. La base de l'enseignement kabbalistique, c'est le mot hébreu séphira -ou au pluriel séphiroth ; ils sont au nombre de dix. Vingt deux sentiers relient entre elles les séphires. L'ensemble forme ce que l'on appelle un arbre kabbalistique ou arbre de vie." D. sortit de son sous-main une représentation de cet arbre et me le tendit. "Je te le prête, me dit-il. Tu le reproduiras sur ton cahier, et tu suivras auparavant toutes les explications que je vais te donner. Séphira veut dire nombre, et l'on voit ainsi en quel sens la kabbale se rapproche de l'idéal pythagoricien, pour qui Tout se trouve dans le nombre, c'est à dire d'un idéal de connaissance. Pour les kabbalistes, les séphires sont les différentes manières dont l'Absolu se manifeste dans le monde concret, dont il s'efforce de se rendre intelligible aux pauvres d'esprits que nous sommes. Pour être plus simple, Dieu ayant crée l'homme à son image, les séphires sont la manifestation de la pensée sur lesquelles il a laissé à l'homme le soin de méditer pour se rapprocher, ou fusionner avec lui. En quelque sorte, par les séphires, la Pensée Divine, l'Absolu s'adapte à la création. Elle s'incarne à un très haut niveau. La kabbale aussi a sa superstition, et il faut s'en défier. Les séphires ne sont pas des images de Dieux qu'il conviendrait d'adorer, ce qui ne serait rien d'autre que de l'idolâtrie, puisque aussi bien l'Absolu est un. Elles ne sont même pas la pensée divine en soi, mais le moyen donné à l'homme de l'appréhender, même imparfaitement. Ce sont des reflets de la pensée divine sur l'écran de l'incarnation, en même temps qu'un enseignement initiatique pratique. On doit méditer dessus, mais non pas les prier ni les adorer. Ou alors, autant adorer un veau d'or. Un kabbaliste, Irina, en disait (D. prit une fiche pour la lire) : ce sont des instruments spirituels dont se sert leur émanateur infini pour créer, former, fabriquer, conserver. Ce ne sont donc pas des créatures à vrai dire, puisqu'elles servent à créer, mais des - 35 - rayons de l'infini qui descendent de la source suprême sans pourtant s'en séparer réellement. Le philosophe Spinoza, qui était également kabbaliste, a cherché à savoir pourquoi les séphiroth étaient au nombre de dix. Je suis assez d'accord avec l'explication qu'il donne. Selon lui, tous les corps ont trois dimensions, et chaque dimension répète les trois autres. Cela nous fait donc 3 x 3 = 9. Ajoutes le temps, et nous arrivons à dix. Il y a chez Spinoza méditant sur la kabbale une prémonition extraordinaire de la théorie de la relativité d'Einstein, un juif lui aussi. Entre les séphires -représentées par des cercles sur ton schéma -se trouvent les vingt deux sentiers, que l'on appelle en hébreu des Cinéroth. Il yen a autant qu'il y a de lettres de l'alphabet hébraïque. Sur les vingt deux lettres, le Zohar, qui est un livre kabbalistique, dit (il alla chercher le Zohar dans sa bibliothèque). "Avant, le mystérieux infini divin manifestait son omnipotence et sa bonté à l'aide de la mystérieuse pensée, de même essence que le verbe, mais silencieuse et intérieure. Le verbe, manifesté à l'époque de la création de la matière, existait avant, sous forme de pensée. Car si la parole est capable d'exprimer tout ce qui est matériel, elle est impuissante à manifester l'immatériel. C'est pourquoi l'écriture dit: Et Elohim dit - c'est à dire que Dieu se manifesta sous la forme du verbe. Cette semence divine, par laquelle la création a été opérée, venait de germer, et en se transformant de la Pensée en Verbe, elle fit de la Pensée une réalité. Aussi par un mystère des plus impénétrables, l'infini frappa avec le son du verbe, le vide, bien que les ondes sonores n'y soient point transmissibles. Le son du verbe fut donc la matérialisation du vide. Le verbe a pris la forme des lettres de l'alphabet, qui émanent toutes du point suprême." Ainsi donc, reprit D., l'Absolu manifeste sa pensée sur le mode des séphiroth, et par les lettres, les cinéroth, il permet de lier entre eux les éléments divers de cette pensée. Du point de vue initiatique, l'adepte méditera dans un ordre donné sur les diverses séphires -c'est le temps contemplatif de l'initiation Z - 36 - et lorsqu'il aura bien assimilé le stade de cette séphire, il se mettra en route vers une autre, plus élevée, en empruntant un sentier qui le mène de l'une à l'autre: c'est le temps actif, ou opératif de la voie intiatique. Sans méditation préalable, il n'y a pas de socle solide d'où on puisse partir; sans pratique, il n'y aurait que stagnation, puisqu'on ne pourrait passer d'une séphire à une autre. Ce que j'appelle la Magie Cérémonielle, c'est à la fois la mise en oeuvre de la méditation et la mise en acte des rituels. Le point suprême dont émanent toutes les lettres de l'alphabet auquel faisait référence le texte du Zohar, c'est la première séphire, Kéther, celle qui se trouve tout en haut sur ton schéma, et que j'ai marquée du l en chiffre romain. J'ai numéroté les séphires en chiffres romains, et les sentiers en chiffres arabes. si l'on part de la dernière séphire la X, Malkuth, pour s'élever progressivement et par étapes vers la première séphire, Kether, on s'élève le long de l'arbre de vie, ce que, dans ton schéma, tu as appelé la montée du monde matériel vers le moi absolu. Mais bien entendu, cette action a son symétrique dans le domaine de l'élémental, de la haine, de la répulsion. C'est la descente de Kether vers Malkuth, le fait d'incarner de plus en plus l'esprit immatériel, de l'emprisonner dans les jouissances terrestres. Ou, si l'on veut, c'est l'ascension d'un arbre séphirotique inversé, qui pivoterait de 180° degré autour de son centre, de telle sorte que Kether se retrouve en bas et Malkuth en haut. Cet arbre inversé, les kabbalistes l'appellent la "Quliphah", l'arbre de mort. En s'efforçant de s'élever de Malkuth à Kether, on sauve son "âme" ; en s'éloignant de l'étincelle divi.ne et en descendant toujours plus bas vers les profondeurs de Malkuth, on la "damne". C'est aussi l'opposition éternelle, mais dynamique, qui existera toujours entre l'évolution, mouvement ascendant, et l'involution, mouvement descendant. Puisque les séphires sont des objets de méditation, je vais te les décrire brièvement, dans le langage le plus imagé possible, afin que tu puisses t'en faire une représentation mentale sur laquelle il conviendra que tu concentres ton imagination, et toute l'énergie de ton intellect. La dixième séphire, Malkuth - 37 Z (X) , se traduit par le mot Royaume. Ce Royaume, qui nous a été donné, c'est bien sûr la Terre sur laquelle nous vivons. C'est aussi la science et l'intellect, qui nous permettent de mieux maîtriser les conditions de notre passage sur cette planète. C'est le point de départ de toute initiation. Ce qui confirme ce que j'ai déjà eu l'occasion de te dire: le processus initiatique ne nie pas la pensée rationnelle, il la transcende. Elevonsnous vers Yesod, la sphère IX, que l'on traduira par fondement et que l'on fera correspondre à l'eau, à la lune, aux organes sexuels, aux parfums utilisés en magie cérémonielle nous avons déjà quitté notre individualité. Nous venons de rejoindre l'inconscient collectif de l'humanité. Elevonsnous encore sur notre gauche, et rejoignons Hod, la séphire VIII, la Gloire, qui correspond à l'air, à la sphère des opérations magiques, au mental humain, aux noms de pouvoir et aux versets qui les invoquent. Les francs-maçons symbolisent cette séphire par le tablier qu'ils portent. Car c'est en Hod que se créent les formes, qui attendent des séphires supérieures le souffle de vie. Passons à la séphire qui lui est diamétralement opposée et abordons en VII, Netzah, la victoire, le réceptacle des énergies, les instincts humains. C'est aussi le lieu privilégié de l'amour et de l'érotisme, et c'est pourquoi on représente souvent Netzah par une belle femme nue. C'est Vénus, c'est la rose qui pousse dans le jardin, c'est la ceinture de l'occultiste, et c'est aussi sa lampe, avec laquelle il espère dévoiler les illusions pour étreindre la vérité toute nue. Repartons vers notre gauche, nous atteindrons Tiphereth, au centre de l'arbre, la séphire VI. Tiphereth, c'est la beauté, c'est aussi le centre de symétrie horizontal de l'arbre. C'est en Tiphereth que, selon le dire de Kerneïz, nous avons achevé notre désassimilation, notre dé- construction, et que nous somme redevenus comme un enfant. Tiphereth, c'est aussi le sacrifice du Dieu qui se fait homme, du Verbe qui s'incarne, c'est la séphire christique. Tiphereth, c'est l'alchimie, quand la matière première, qui était vile, commence à se spiritualiser. Si Netzah reçoit les énergies, c'est de Tiphereth qu'elles émanent. Tiphereth est le coeur rayonnant de l'arbre de vie. - 38 - Poursuivons notre périple vers la gauche, et nous abordons en V, Geburahla force, ou bien encore la Justice. Je vais te laisser tout à l'heure un jeu de tarot pour t'aider dans tes méditations. Geburah, c'est l'arcane VII, un homme puissant debout sur un char de guerre. Bien entendu il s'agit de la "guerre sainte" à mener avant tout contre soi-même, au sens où l'entendait le texte de Daumal. Sa symétrique la séphire IV, Chesed, est la miséricorde, l'amour, ce que Kerneiz appelle la charité. C'est l'arcane IV du tarot, la Pierre cubique, le roi puissant assis sur son trône. Nous abordons là le Monde des Idées, au sens où Platon le définit, le monde des archétypes, des principes, des concepts. A ce stade, la forme physique est oubliée. Remarques-tu que nous ne pouvons plus poursuivre directement notre périple ? Pour accéder à Binah, la séphire III, il nous faut repasser par Tiphereth. C'est que les trois séphiroths supérieures sont le domaine réservé de l'Initié parvenu au bout de son chemin. Avant que d'y accéder, il nous faut une fois de plus nous purifier, nous décaper, redevenir un enfant en Tiphereth. Binah, c'est l'intelligence, la compréhension. Mais ce n'est pas l'intelligence et la compréhension humaines. C'est à ce stade que l'on comprend avant de l'éprouver la nature réelle de l'étincelle divine qui est en nous. On la représente par une femme mûre; mais sur le chemin involutif -pour quiconque, malheur à lui, descend l'arbre des séphiroth, Binah, c'est Satan, le début de la révolte contre cette même étincelle divine. C'est en Binah que le temps se dépasse, et avec lui l'espace, ou qu'au contraire il commence, suivant qu'on grimpe le long de l'arbre de vie .ou de l'arbre de Mort. C'est en Binah que se pratique la mort symbolique de l'adepte, pour lui permette de renaître, tel le phénix, dans les deux séphiroth supérieures. Sa symétrique, la séphire II, Hochmah, la Sagesse, est l'unité, la source potentielle de toute action, de toute création. C'est le sperme de Cosmos qui sera fécondé dans la matrice de Binah, le phallus cosmique, l'ancêtre mythique. Enfin, cet arbre s'achève par la Séphire I, Kether, la couronne. C'est le but suprême de l'initiation, l'Etre pur, le justifié, comme le disaient les égyptiens. C'est un point sur la ligne de - 39 - l'Infini, le Père des chrétiens, le vieillard barbu sous la forme duquel on le représente parfois. Mais n'oublions pas que l'arbre n'est que la manière dont l'Absolu se manifeste à nous en pensée (les séphiroth) et en actes (les cinéroth) ; ce n'est pas l'absolu lui-même. C'est sa traduction dans le monde humain, du niveau le plus bas au niveau le plus élevé. C'est pourquoi, au dessus de l'arbre, au delà du concevable, de l'imagination, du bien, du mal, on trouve une triplicité, la trinité ou mieux la Triunité. Le Bien, le Mal la spire ascendante ou la spire descendante, tout cela est lié au phénomène de l'incarnation, et finalement laissé à notre choix, à notre libre-arbitre. Nous sommes seuls juges, et nous serons seuls comptables, de la manière dont nous appréhendons ces manifestations. Mais l'Absolu est au-delà de ces contingences, de ce dynamisme. Il est "celui qui est". En particulier, il n'est pas tout ce que l'homme a pu penser ou imaginer. Voilà pourquoi beaucoup de religions interdisent toute représentation divine. Dieu est par essence un non-être, et le philosophe Jean-Paul Sartre serait bien étonné de m'entendre dire que sa thèse "l'Etre et le Néant" baigne dans la "Quliphah", puisqu'elle privilégie l'existence et l'individualisme (et même la rupture avec toute communauté d'êtres puisque, selon lui, "l'Enfer, c'est les autres") .La question que se posent avec angoisse nombre de croyants: "puisque Dieu est infiniment bon, pourquoi permet-il le mal ?" est nulle et non avenue. Le Bien, le Mal sont deux polarités de l'existence. Mais l'Absolu n'est pas bon, il ne permet pas le mal, puisqu'il n'est pas. Ce n'est pas un existence, c'est un état. Et même cette phrase est inexacte puisque j'ai employé deux fois le verbe être, une fois négativement, une fois positivement. Il n'y a rien à dire de l'Absolu. Il ne crée rien, la création émane de lui. Il est en dehors de toute volonté, c'est une attente, un espoir pour nous. Ce que Kerneiz recommande d'imaginer, de se représenter, de visualiser, ce n'est pas l'Absolu, mais ses manifestations, et par exemple, en kabbale, les séphiroth et les céniroth. Et ça, c'est tout à fait licite. Car les manifestations ont une existence. Elles sont la vie de l'absolu, et en ce sens on peut les dessiner dans notre tête. - 40 - Mais l'homme est ainsi fait qu'il ne peut s'empêcher de tenter de nommer l'innomable. La triplicité dont j'ai parlé est une telle tentative. Et il faut admettre que les kabbalistes ont eu un coup de génie. Car cette triplicité se nomme "Ain Soph Aur", "Aïn Soph", "Aïn" (Kerneiz écrit "En Soph" ; au demeurant, l'orthographe des traductions n'a que peu d'importance) . Aïn peut se traduire par rien, vide; soph par limite; aur par lumière. Par trois fois, la triplicité porte la marque du non être - c'est même son état suprême. Aïn soph aur -la lumière sans limite -c'est la première chose que perçoit l'initié, au terme de sa quête -c'est l'illumination -c'est aussi le premier état dans lequel nous pénêtrons après la mort (Note de l'éditeur les enquêtes récentes menées sur des personnes ayant été déclarées un instant cliniquement mortes, mais ramenées médicalement à la vie, font pour la plupart état du souvenir d'une vive lumière blanche) .Aïn soph le rien sans limite est au delà de l'état précédent. C'est l'Ignorance Totale, et à ce stade tous les ponts sont rompus avec la conscience. Aïn, le rien, c'est la fusion au sens réel du terme. On peut revenir d'Aïn Soph Aur -c'est d'ailleurs le stade ultime qu'un initié puisse atteindre, c'est là aussi que l'on se trouve entre deux incarnations. Il est rare qu'ayant atteint le stade Aïn Soph, et goûté aux joies de l'absence sans borne, on se réincarne. Seuls, quelques êtres d'exception en sont le témoignage. Mais on ne revient jamais d'Aïn, la fin du cycle des réincarnations, ce bonheur total qui s'exprime par une simple négation, puisqu'aussi bien, il est le détachement suprême de tout ce qui existe, et la fusion réelle avec l'absolu, qu'on ne peut dire. Voilà, tu viens de prendre ta première leçon de kabbale. Il yen aura beaucoup, beaucoup d'autres. Passons aux points suivants. Mais souviens-toi Malkuth, c'est tout; cette globalité dont nous partons, mais qui peut nous retenir, nous emprisonner dans ses filets. Aïn, c'est rien aïn, c'est la vraie liberté. Le sens naturel de l'initiation, c'est partir de tout pour accéder à rien, la marche vers le dénuement total, c'est l'action de se dépouiller, d'enlever successivement ses vieilles peaux comme - 41 - autant de carapaces, pour retrouver la flamme qui ne brûle de nul feu, qui se trouve au delà de la lumière. Tu as raison; notre personnalité animique peut-être comparée à la résultante des forces en physique. Ce n'est pas la somme arithmétique de nos personnalités. C'est plutôt le pont qui relie notre point de départ et notre point d'arrivée. si notre personnalité 1 est allé de Malkuth à Netzah, si notre personnalité 2 est redescendue en Yesod, et si notre personnalité 3 s'est élevée jusqu'à Hesod, la résultante de ces trois personnalité, autrement dit la personnalité animique de ces trois incarnations successives, ce sont les chemins directs qui mènent de Malkuth à Hesod -suis sur le schéma -soit les chemins 22 - 15 et 10 dans le monde de l'arbre de vie, soit les chemins II et 19 dans le monde de la "Quliphah". Mais ce n'est pas un égrégore. Un karma, fut-il exceptionnel, ne peut pas à lui tout seul être suffisamment chargé d'énergie pour constituer un égrégore. Je vois que les phrases "dans la vie courante, beaucoup d'idées et d'émotions nous viennent d'autres plans que le plan physique. Nous les transformons alors par un mécanisme habituel à notre pensée en sensations normales du plan dans lequel nous vivons. De là vient, entre autres choses, la forme humaine que nous donnons aux apparitions" t'ont fait problème. Je vais prendre un exemple physique: tu sais que les images que nous percevons grâce à nos yeux s'impriment à l'envers sur notre rétine. C'est notre cerveau qui les redresse. De même, lorsque certaines idées ou émotions nous proviennent soit d'un souvenir de nos vies antérieures, soit du monde des Idées, nous leur donnons pour les exprimer un objet de notre vie courante, nous les traduisons en formes. Et nous en faisons tout autant lorsque nous rentrons, volontairement ou accidentellement, en contact avec un égrégore. Automatiquement, le cerveau l'habille d'une forme humaine. si l'égrégore est bénéfique, cette forme humaine sera plaisante, voire fascinante les apparitions de la mère du Christ, par exemple, ou plutôt la manifestation de l'égrégore qui a contribué à former le catholicisme. Mais s'il s'agit d'un égrégore négatif, - 43 - produit par une communion de pensée envoyée dans la sphère de l'élémental, l'égrégore se présentera sous une forme désagréable, voire terrifiante, et pourra même être accompagné d'odeurs pestilentielles. Toutes ces manifestations sont exclusivement le produit de notre cerveau. La communication avec les égrégores négatifs explique la plupart des phénomènes de hantise. Peut-être nous rendrons nous un jour ensemble dans un tel lieu. (Note de l'éditeur effectivement, dans le second cahier de l'Adepte, vous verrez comment D. est amené à se rendre, en compagnie de son élève, dans une ferme hantée. Comment, après les terribles évènements que déclanchèrent cette visite, D. "désenvoûta" totalement cette ferme, en libérant l'égrégore de son désir de vengeance, en le faisant changer de plan). Ah Nous en arrivons maintenant au génial docteur Coué. C'était un pharmacien qui vécut à la fin du siècle dernier et au début de ce siècle, et qui fonda une méthode de psychothérapie fondée sur l'autosuggestion. Le docteur Coué pensait que plutôt que de chercher à analyser la cause des affections mentales pathologiques, ce qui ne fait que les enraciner, leur donner encore plus d'importance, il fallait au contraire substituer à ces troubles des images positives, que le patient répète jour après jour. Par exemple, le dépressif récitera quotidiennement, comme un chapelet "chaque jour, je vais de mieux en mieux". Selon le docteur Coué, une telle répétition finit par provoquer une croyance, et cette croyance se transforme à la longue en acte. Le docteur Coué a été rejeté par tout le monde; trop magique, disent les psychiatres habitués à guérir le mal à coups de pilules, de cures de sommeil et d'électrochocs; trop simpliste, disent les psychanalystes, qui préfèrent perdre des années durant leurs patient dans le dédale de l'inconscient, pour en ressortir un produit qui sait dorénavant pourquoi il souffre, mais qui n'en continue pas moins à souffrir. Le seul tort du docteur Coué finalement c'est qu'il enseigne une technique qui fonctionne et soulage, et que chacun peut employer par lui même sans bourse délier, au lieu d'asservir le patient aux traitements onéreux, ce qui, on le reconnaîtra, peut faire du tort au commerce. Le docteur Coué était un mauvais marchand, mais un bon médecin de - 44 - l'âme (Note de l'éditeur: depuis quelques temps, les méthodes de développement personnel ont fleuri, et ont fait la part belle aux avatars de la méthode Coué, notamment le training autogène et la programmation neurolinguistique) . Tu n'as pas compris non plus ce que voulait dire: "Elle l'est, d'ailleurs, bien qu'à un degré moindre, par tout acte organique rendu conscient et en particulier pour toute réception ou émission de substance par l'organisme". Rappelons qu'il s'agit des procédés pour favoriser la concentration. Voyons, quand l'organisme reçoit-il ? Lorsque nous mangeons, ou buvons, lui répondis-je. oui, et encore ?" Je ne voyais rien de plus à lui répondre, et le lui dis. "Eh bien, également lorsque nous respirons, que nous absorbons l'air, et avec lui l'énergie vitale. Et pour la femme, lorsqu'elle fait l'amour, au moment où elle reçoit la semence de l'homme. Et quand l'organisme émet-il ?" Eh bien, pour l'homme lorsqu'il éjacule. Oui et encore ? en règle générale ? Je restai muet mais je me sentis rougir. D. s'en aperçut. "Eh bien, n'ait pas de honte à le dire. Ton organisme émet de la substance gazeuse, liquide ou solide lorsque tu pètes, pisses ou chies. Pourquoi ne pas oser le dire ? Tout le monde pète, pisse et chie, même le saint le plus ascétique, même l'esprit le plus spirituel, tant qu'il est vivant. C'est une donnée inéluctable de la vie organique et il n'y a pas de quoi en rougir. (C'est la première fois que j'entends D. utiliser un langage trivial. Je suppose que c'était sa manière à lui de bousculer encore plus ma gêne) . Que veut dire Kerneiz ? Que ce sont des actes quotidiens que nous faisons le plus souvent sans y prendre garde. Nous avons vu qu'au cours des exercices respiratoires, on devait se concentrer sur l'énergie vitale que l'on insuffle, et sur l'air vicié que l'on expulse. De même, il faut se départir des mauvaises habitudes qui sont lire ou parler en mangeant, lire aux toilettes. Il faut au contraire se concentrer sur ce que nous ingérons et sur ce que nous expulsons, il faut être présent à ce que nous sommes en train de faire, mâcher longuement notre nourriture pour mieux - 44 - l'apprécier, boire lentement et seulement quand nous avons soif, et prendre plaisir à libérer nos intestins et notre vessie. Pour la copulation, c'est beaucoup plus compliqué car la concentration est souvent gênée par la sensation de plaisir, ou par les miasmes des idées lubriques. Nous y reviendrons lorsque nous parlerons des pratiques et de l'entraînement sexuel de l'adepte. Mais la pratique quotidienne de l'entraînement initiatique passe aussi par la table, lès toilettes et le lit. Il n'y a rien de laid ou de sale ou de honteux en ce monde. La laideur, la honte, la saleté attribuées à des actes naturels sont les produits d'une éducation qui nie la nature. La nature, comme la science, ne doit pas être niée, mais transcendée. Et on peut aussi bien transcender l'évacuation ou l'éjaculation que n'importe quel autre action normale de la vie courante. Je dirai même que tu iras plus sûrement au "paradis" (mets ce mot entre guillemets) si tu médites sur les contractions libératoires de tes intestins, de ton urètre ou de ton canal séminal, que si tu avales des hosties consacrées sans y prendre garde. Tu ne connais sans doute pas le philosophe allemand Emmanuel Kant, et c'est pourquoi tu as buté sur "les catégories au sens kantien". Pour Kant, qui-recherchait entre autres choses ce qui fonde le jugement, ces catégories sont à la fois les fonctions qui permettent le jugement, et les principes de toute pensée. Ce sont des concepts à priori, c'est à dire des pensées pures qui nous préexistent, et sans lesquelles nous ne pourrions concevoir ce qui se donne à notre perception. C'est donc une pensée de type métaphysique -du grec meta -phusis : au delà de la nature. Dans un peu plus d'un an, tu auras l'occasion de peiner sur Kant -car ses textes ne sont pas faciles à lire. Tu as raison de souligner que l'action et la réaction sont les manifestations mécaniques des deux catégories de l'affectivité : l'amour et la haine. De même, le yin et le yang, le positif et le négatif, peuvent être rapprochés des pôles attractifs et répulsifs. Mais le yin/yang, dans sa globalité, n'est pas un symbole de l'absolu, puisque nous avons vu que l'absolu ne pouvait pas se concevoir, donc se représenter ou se symboliser. En ce sens d'ailleurs, je ne suis pas d'accord avec Kerneiz - 45 - lorsqu'il définit l'absolu comme l'ensemble de ces deux catégories. Le yin/yang, l'ensemble de ces deux catégories, c'est la manifestation de l'absolu. si on veut, le yin yang est l'arbre de vie des chinois, moins détaillé, parce que la forme de pensée des orientaux est moins conceptuelle que celle des occidentaux. A Jésus, le modèle de l'Initié, correspond bien Satan, le type même de l'involution poussé au point le plus extrême. Mais s'ils s'opposent, ils se complètent aussi. Satan est l'image de Jésus dans le monde de l'élémental, de l'involution et Jésus le porte en lui. D'où la parabole de la tentation, lorsque Satan offre à Jésus tous les plaisirs de ce monde, pourvu qu'il daigne se soumettre. Ce combat, dont Jésus sort vainqueur, l'adepte doit le livrer à chaque instant. C'est la guerre sainte qu'il nous faut mener. Les plaisirs du monde nous tenteront jusqu'au dernier instant. Il ne faut pas forcément y renoncer; il importe juste de ne pas s'y abandonner, s'y vautrer. Les plaisirs du monde sont à goûter avec modération, et surtout dans le but unique d'élever toujours plus haut notre corps spirituel. Je suis content de ton travail d'analyse du texte de Kerneiz. D'autres questions ?" Non, je n'en avais plus. J'étais de nouveau sous le charme. Je n'avais pas tout compris, bien sûr. D'ailleurs, en relisant attentivement ce qui précède, je m'aperçois que si, par instants, certains points du discours de D. éclairent les zones d'ombre de mon esprit, ce n'est pas encore, loin de là, la pleine lumière. Mais je suis vraiment subjugué par l'universalité des connaissances de D. "As-tu faim ? me demanda-t-il" (cela faisait presque j'étais chez lui). Je lui répondis que oui. "Eh bien tant pis, tu attendras encore. As-tu oublié - Non. Le samedi 2 juillet. - Eh oui! Et depuis le 4 juin, ton encre de grenade s' en provenance des astres et des planètes. Cela fait - 46 - quatre heures que quel jour nous sommes? abreuve des effluves maintenant exactement vingt huit jours qu'elle t'attend sur le rebord de ma fenêtre; allons voir ce qu'elle est devenue." D. se leva, prit le flacon qui contenait l'encre, et le posa sur le bureau. Le liquide avait pris une couleur d'un noir d'encre. D. alla chercher un flacon en cristal, un entonnoir, et un filtre. Il filtra l'encre. "Il ne nous reste plus qu'à la consacrer, me dit-il. Il faut donc nous préparer, car pour ce faire nous allons retourner dans mon temple. Prenons chacun une douche, et habillons-nous. N'oublies pas ton cahier de notes, et prends aussi avec toi le texte de la consécration que je t'ai préalablement préparé, et que tu recopieras sur ton cahier comme la fois précédente. Tu n'oublieras pas non plus de préciser qu'une femme qui a ses menstrues ne peut absolument pas pratiquer ni participer à une telle cérémonie. De manière générale, il vaut mieux que les femmes s'abstiennent de toute opération rituelle durant ces périodes. C'est donc revêtus d'un kimono de coton noir, et la tête couverte d'un bonnet de coton noir (la tenue rituelle pour ce type d'opération, me dit D., mais cette fois ci, notre accoutrement ne me donna pas envie de rire) que nous nous rendîmes au "pigeonnier". Excepté le sac de sable et la bouteille de vin, le burin et le marteau qui n'avaient rien à faire dans cette opération, D. dressa l'autel comme précédemment. De même, nous prîmes les mêmes places que mardi, et D. la même position. L'ouverture de la cérémonie fut identique récitation du psaume 2, allumage des bougies et de l'encens. Je n'y reviens donc pas. Le flacon de cristal contenant l'encre de grenade se trouvait au centre de l'autel. D. étendit les mains au dessus du flacon, paumes tournées vers l'autel et prononça par trois fois d'une voix forte : "YAANERA ADONAI BEYOM TSARA YESAGUEBERA SHEM ELOEI YAKOV YISHLAR RIE ZERERA MIKODESH OUTMITSION YISADERA YISKOR KOL MINROTERA VEROLATERA YEDASHNE SELA" Ceci fait, il prononça également par trois fois : - 47 - "ALES ENSHADEY ARETALOREV ARETORNIM LOK ROKSIY AREOASIY NOITSIMOU SHEDOKIM AREREZEIR RALHSIY VOKAY IEOLE MESH AREBEGUASEY ARATS MOYEB IANODA ARENAAY." Le second texte, me fait remarquer D. sur la feuille qu'il m'a remise, est le premier lu à l'envers. D. a aussi indiqué -ne pas chercher la traduction; elle n'a pas de sens; seule importe la phonétique. Il prononçait les R en les roulant fortement, comme le font les espagnols. D. reboucha le flacon de cristal, éteignit les deux bougies de sa main, le brûle-parfums avec de l'eau lustrale, rangea tous les ustensiles, y compris l'encre de grenade, dans son armoire, me délivra du cercle, laissa de nouveau la lumière pénétrer par les meurtrières, et nous sortîmes de son temple. De retour dans sa maison, nous prîmes de nouveau une douche, puis, enfin, nous passâmes à table, non sans qu'auparavant, D. m'ait recommandé de me concentrer sur ce que je mangeais et buvais. Mais pendant le repas, une pensée me vint, qui me tracassa : nos entretiens de ce jour, les exercices, la lecture, la cérémonie avaient duré beaucoup plus longtemps que les précédents. Je craignis de n'être pas en mesure de consigner par écrit le compte rendu complet. De retour dans le bureau, j'en fis part à D. "Ne t'inquiètes donc pas, me dit-il, tu as deux mois pour ce faire. Nous ne nous reverrons pas avant le samedi 3 septembre. Je prends en effet mes vacances durant tout le mois de juillet, et je pars à l'Arbresle, un village près de Lyon, où vécut, à la fin du siècle dernier et au tout début de ce siècle, un célèbre guérisseur, un saint homme. Il y réside encore quelqu'un de très âgé, qui l'a connu, et qui m'a prié de lui rendre visite (Note de l'éditeur: le célèbre guérisseur dont il est ici question est de toute évidence Anthelme Nizier Philippe, plus connu sous le nom de Maître Philippe, celui que Papus appelait "le Père des pauvres") .Et comme tu seras absent pour cause de vacances tout le mois d'août, au 3 septembre, donc. Je ressentis un certain dépit à cette annonce. D. s'en aperçut et me dit : - 48 - "Allons, deux mois, ce n'est rien. Et puis, il est bon que tu fasses tes propres expériences, et que tu rompes un peu avec tes habitudes, ne crois-tu pas ? En un mois, tu en as appris assez pour avoir suffisamment de quoi méditer durant le temps qui nous sépare de nos retrouvailles. C'est même dans cette relative solitude que tu devras mettre à l'épreuve ton désir de progresser sur le chemin en continuant notamment à pratiquer tes exercices. Je vais d'ailleurs te préparer un petit programme". Il sortit une feuille de papier, y traça quelques lignes, puis me la tendit. J'y lus : Chaque matin, au réveil Commencer par les exercices respiratoires et de détente (10 mn) en s'efforçant de se concentrer sur la séphire Malkuth, et ses représentations imagées. Faire une toilette complète. Puis répéter mentalement et à haute voix : "Chaque jour, je progresse de plus en plus vers le but que je me suis fixé." (méthode Coué) . "Je vais vivre aujourd'hui une fantasmagorie que ma pensée va se créer à elle-même. J'aurai des rêves qui ne diffèreront de ceux de mon sommeil qu'en ce qu'ils seront liés entre eux et reliés aux rêves d'hier et des jours précédents, et qu'ils rentrent dans le système cohérent de représentations que je n'ai cessé d'édifier depuis mon enfance" (kerneiz) . Chaque soir, avant de se coucher * Faire une toilette complète. Pratiquer son examen de conscience comme indiqué dans Kerneiz. Exercices respiratoires et de détente et concentration sur Malkuth ( comme le matin). A n'importe quel moment de la journée, mais quotidiennement Lire entièrement le texte de Daumal sur la guerre sainte. Lire entièrement le texte de Kerneiz. Regarder, sans y réfléchir, mais en tentant de s'en imprégner, les 22 arcanes majeures du tarot. Chaque fois que cela est possible Se livrer à la critique de tes idées, de tes élans d'affection ou de rejet, et de tes convictions. Pourquoi les as-tu ? Quels - 49 - sont ceux qui proviennent de l'extérieur ? Quels sont ceux qui proviennent de toi ? (Cet exercice est difficile. Pour qu'il soit profitable, surtout au début, il importe de le faire en écrivant tes réflexions sur un cahier) . * Se concentrer sur ce que tu es en train de faire, notamment lorsque ton organisme reçoit ou émet." D. se leva, m'embrassa chaleureusement (c'est la première fois qu'il me témoigne ainsi une marque physique d'affection), puis me serra longuement la main, et me dit : "De toutes manières, n'oublies jamais que même si nous sommes séparés dans l'espace, je suis toujours et en tous temps à tes côtés. Bonnes vacances." Je suis donc reparti avec mes "devoirs de vacances", mon jeu de tarot, mes planches anatomiques et le magnétophone. J'ai l'impression de bien progresser mais ce n'est pas facile. Kerneiz a raison l'examen de conscience et l'examen critique du jugement et de l'affectivité sont des exercices pénibles. Chaque jour, je me rends à la messe du soir, ce qui ne manque pas d'étonner mes parents. J'observe les gestes du prêtre. J'écoute attentivement les sermons, quand il yen a. Leur teneur me paraît bien légère, compte tenu de la richesse des propos de D. Je viens de terminer cette rédaction le jeudi 14 juillet. Hier, j'ai reçu une lettre de D. Aux banalités d'usage, il avait ajouté les textes suivants : "Il est un très grand et très profond secret, le mystère souverain, sublime et pur. Pour parvenir à la perfection, il faut conquérir la science de l'unité qui est au dessus de la sagesse ; il faut s'élever à l'Etre divin qui est au dessus de l'âme, au dessus même de l'intelligence. Or, cet être divin, cet ami sublime est aussi en chacun de nous. Car Dieu réside dans l'intérieur de tout homme mais peu savent le trouver. Or voici le chemin du salut. Une fois que vous aurez aperçu l'être parfait qui est au dessus du monde et en vous-même, déterminez vous à abandonner l'ennemi qui prend la forme du désir. Domptez vos passions. Les jouissances que procurent les sens sont comme les matrices des peines à venir. Ne faites pas seulement le bien, mais soyez bon. Que le motif soit dans l'acte et non dans ses - 50 - fruits. Renoncez aux fruits de vos oeuvres, mais que chacune de vos actions soit comme une offrande à l'Etre suprême. L'homme qui fait le sacrifice de ses désirs et de ses oeuvres à l'Etre d'où procèdent les principes de toutes choses, et par qui l'univers a été formé, obtient par ce sacrifice la perfection. Uni spirituellement, il atteint cette sagesse spirituelle qui est au dessus du culte des offrandes et ressent une félicité divine. Car celui qui trouve en lui-même son bonheur, et en lui-même aussi sa lumière est un avec Dieu. Or sachez-le, l'âme qui a trouvé Dieu est délivrée de la renaissance et de la mort, de la vieillesse et de la douleur, et boit l'eau de l'immortalité." Paroles de Krishna à son disciple Ardjourna dans La Baghavad - Gîta. "Tout ce que nous sommes est le résultat de ce que nous avons pensé. Cela est fondé sur nos pensées cela est fait de nos pensées. si un homme parle et agit d'après une pensée pure, le bonheur le suit comme une ombre. La haine n'a jamais été apaisée par la haine. La haine n'est vaincue que par l'amour. Comme la pluie à travers un esprit peu domination de soi-même, ravager. doctrine (Paroles à travers une maison mal couverte, la passion passe réfléchi. Par la réflexion, par la retenue, par la l'homme se fait une île qu'aucun orage ne peut moissonner les choses qu'il a semées. Ceci est la le Dhammapada) . "Cela ne dépend pas de nous. La vérité ne se donne pas. On la trouve en soi-même ou on ne la trouve pas. Nous ne pouvons faire de toi un adepte, il faut le devenir par toi-même. Le lotus pousse sous le fleuve longtemps avant de s'épanouir. Ne hâtes pas l'éclosion de la fleur divine. Si elle doit venir, elle viendra en son jour. Travailles et pries." (Réponse d'Osiris à un candidat à l'initiation) "Il y a trois vérités qui sont absolues et qui ne peuvent être perdues, mais qui peuvent cependant demeurer voilées dans le silence faute d'être proclamées. L'âme de l'homme est immortelle et son avenir est l'avenir d'une chose dont la grandeur et la splendeur n'ont pas de limites. - 51 - Le principe qui donne la vie réside en nous, il est immortel et éternellement bienfaisant; il ne s'entend pas, ne se voit pas, n'exhale point d'odeur, mais il est perçu par l'homme qui désire la perfection. Chaque homme fixe lui-même d'une manière absolue sa propre loi, il est son propre dispensateur de lumière ou de ténèbres; il décide de sa vie, de sa récompense, de son châtiment." (L'Idylle du Lotus Blanc) "Pour changer votre état d'esprit ou vos état mentaux, modifiez votre vibration. Pour détruire une mauvaise période de vibration, mettez en activité le principe de polarité et concentrez votre pensée sur le pôle opposé de celui que vous voulez anihiler. Tuez l'indésirable en modifiant la personnalité." (le kybalion) "Croyez, aimez, agissez et que l'espérance soit l'âme de vos actions. Il y a au delà de cette terre un monde des âmes, une vie plus parfaite. Je le sais, j'en viens, et je vous y mènerai. Mais il ne suffit pas d'y aspirer. Pour y parvenir, il faut commencer par le réaliser ici-bas, en vous-même d'abord, dans l'humanité ensuite. Par quoi ? Par l'amour, par la charité active." (Le Christ) "Quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta droite, afin que ton aumône reste dans le secret, et alors ton Père qui voit dans le secret te le rendra. Et quand tu pries, n'imite pas les hypocrites qui aiment à faire leurs oraisons debout dans les synagogues et au coin des places afin d'être vus des hommes. Je dis, en vérité, qu'ils reçoivent leur récompense. Pour toi, si tu veux prier, entre dans ton cabinet et, ayant fermé la porte, prie ton Père qui est dans le secret, et ton Père qui voit dans le secret t'exaucera. Et quand tu pries, ne fais pas de longs discours, comme les païens, qui s'imaginent être exaucés à force de paroles. Dieu, ton père, sait de quoi tu as besoin avant que tu lui demandes." (Le Christ) - 52 - "En vérité, si un homme ne naît pas de nouveau, il ne peut entrer dans le royaume de dieu." (Le Christ) "Aimez-vous les uns les autres" (Le Christ) - 53 - TABLE DES MATIERES (Chaque nouvelle journée recommence à la page 1- cf avertissement de l'éditeur) . Avertissement de l'éditeur (le Grand Collège Initiatique) * Le but du Grand Collège: dispenser l'initiation * L'Adepte et le Grand Collège * Les "cahiers" : un enseignement rigoureux et chronologique * Les notes de l'éditeur Préface * L'ingénieur D. ; sa vie * Des cours de mathématiques * L'ingénieur D. propose à l'adepte de lui enseigner les sciences de la Réalité et de consigner l'enseignement sur des cahiers. * L'ingénieur D. avait prédit la date de sa mort 1 1 2 3 1 3 5 6 Samedi 4 juin 1966 Dieu, la Religion, le Diable, la Magie, le Bien et le Mal Magie blanche et Magie noire, la Science 1 D. commente deux poèmes: "correspondances" de Baudelaire et "Voyelles" de Rimbaud. 3 * Les trois cerveaux 5 * Le yin yang 6 * L'initiation et le péristyle 8 * Le magnétophone entre en scène 9 * Les graphiques émetteurs 10 * L'encre de grenade 11 Samedi 11 juin 1966 * utiliser la technique, mais non pas en devenir esclave 1 * Ordre et méthode 2 * Réflexions de l'adepte sur l'ingénieur D. 3 * Est-ce bien sérieux, tout ça ? 4 * La tradition orale et la filiation 6 * Magie et initiation 7 * La mort n'est qu'une illusion 8 * A quand remonte la tradition ? 9 * Les limites de l'éducation 10 Le tellurisme et les ondes de forme 10 Qu'est-ce qu'un pantacle ? 11 Le cercle 12 Le triangle équilatéral 13 Le carré 13 La pyramide -sa construction -première utilisation 14 Samedi 18 juin 1966 Unguide 1 A quoi servent les "cahiers" ? 3 L'initiation et la mort 4 Initiation ou initiations ? 7 Les sept degrés initiatiques traditionnels 8 Une visite désagréable 8 Monoidéisme et visualisation 11 Premier exercice de détente -Relaxation et tension 11 Jeudi 23 juin 1966 Incroyable ! 1 Samedi 25 juin 1966 Sérénité dans le jardin 1 Accrochages 1 Menteur ! 2 Un engramme 4 La filiation: un don, pas une contrainte 4 Premiers exercices respiratoires 5 Les outils 9 Un effort financier 10 Le symbolisme de l'épée -la carte 8 du tarot - La guerre sainte -Un texte de Daumal 10 Mardi 28 juin 1966 * Tenues rituelles 1 * Le "temple" de D. Aménagement et objets divers 2 * L'eau lustrale -sa fabrication -formule d'exécration 4 * Attitudes de D. 5 * Consécration du temple: le psaume 2 6 * Consécration de l'épée 8 Samedi 2 juillet 1966 * D. soigne un rat 1 * L'adepte redevient "riche" 4 * La sérénité: une prise de conscience de l'instant présent 4 * Cycles et rythmes 6 * Le sacré et le profane 7 * Les phonèmes 8 * Les égrégores 9 * Les trois causes de la maladie 12 * Jésus et sa mort 13 * Exercices 14 * Un texte de Kerneiz sur l'entraînement psychique 15 * Notes de l'adepte sur le texte de Kerneiz 29 * Adam et Adam Kadmon 32 * La loi du Karma 33 * Première leçon de kabbale: qu'est-ce que la kabbale ? 33 les dix séphiroth 35 les vingt deux cinéroth et les lettres 36 Kether, la première séphira 37 Arbre de vie, arbre de mort 37 En parcourant l'arbre de vie 38 Dieu est un non-être 40 Aïn Soph Aur ; Aïn Soph ; Aïn 41 * La personnalité animique 42 * Les apparitions 42 * La méthode du docteur Coué 43 * Procédés pour faciliter la concentration 44 * Les catégories kantiennes 45 * Yin Yang 45 * La tentation du Christ 46 * Consécration de lencre de grenade 46 * Plan de travail 49 * citations diverses 50